et j’y passai toute la soirée, occupé à donner la dernière
main à mon courrier*.
Aujourd’hui M. Jacquinot me fait part des bruits
très-bizarres et très-inattendus qui circulent dans la
ville et principalement sur les navires français au
sujet de notre expédition. On la regardait comme
complètement avortée, d’après je ne sais quel fondement
; on allait même jusqu’à publier que nous n’avions
pas osé donner dans le détroit de Magellan, et
qu’à la vue de la première glace, nos corvettes avaient
pris la fuite. Aussi pour cacher ma honte j’avais été
me réfugier à Concepcion, n’osant pas me montrer à
Valparaiso. Il paraît même qu’un des officiers de la
Vénus, où ces bruits avaient acquis le plus de consistance,
avait écrit à l’un de ceux de Y Astrolabe, que la
seule ressource qui restait à la disposition du commandant
de la mission, était de se brûler la cervelle.
Ces allégations étaient si niaises et si absurdes, que les
seules impressions qu’elles produisirent sur moi furent
celles du mépris et de la pitié. Seulement j’y vis
encore une fois une preuve de ces sentiments de basse
jalousie et du défaut de patriotisme si commun chez
les officiers de notre nation. En pareille circonstance
et en supposant de tels faits bien établis, des Anglais
se seraient efforcés de les cacher au lieu de leur donner
de la publicité.
Du reste, au sujet de la préférence que j’avais donnée
à Concepcion sur Yalparaiso, les suppositions
de mes charitables confrères pouvaient être excusa- 1^.8-
bles jusqu’à un certain point. Par rang de liste, j’étais
le plus ancien des officiers employés sur la côte de
l’Amérique, et par conséquent c’était à moi que seraient
revenus les honneurs et les insignes du commandement.
La plupart, à ma place, seraient accourus
de bien loin, rien que pour jouir de ces avantages.
Quant à moi, c’était chose complètement indifférente;
j’ai déjà expliqué tous les motifs qui me portaient à
toucher à Talcahuano, et l’événement a prouvé combien
j’avais eu raison de le faire. Mais tout cela n’était
pas bien connu, et ceux qui pensaient autrement que
moi pouvaient facilement attribuer à d’autres raisons
ma conduite en cette occasion.
Je ne fis donc que rire de tous ces misérables et
honteux caquets. Mais les officiers des deux navires
dont la mémoire était encore toute fraîche des
efforts qu’ils avaient faits et des dangers qu’ils avaient
courus, le prirent plus au sérieux, et s’en montrèrent
indignés. Ils allèrent trouver leurs camarades, leur
racontèrent avec détails tout ce qui avait eu lieu, 27.
et se flattèrent d’avoir complètement détruit les fâcheuses
préventions suscitées contre notre expédition
*.
A dix heures du matin, MM. les commandants Du-
haut-Cilly, Jacquinot et Cazotte, que j’avais conviés
à déjeûner avec moi, se rendent à bord. M. Cazotte,
par sa conversation enjouée et amusante , fait en