trouilles, de courges. A quelque distance du village, la route
traverse une petite place dépouillée d’arbres qui sert pour les jeux
de la jeunesse. D’un côté , une quarantaine de jeunes gens
jouaient aux'barres et à la balle avec l’abandon de la plus franche
gaieté; de l’autre, c’étaient des jeunes filles qui se livraient au
même délassement. Nous nous arrêtâmes pour jouir quelques
instants du spectacle charmant de cette jeunesse se livrant avec
tant de bonheur à nos jeux d’enfants- Je dois avouer que j étais
au comble du bonheur, et qu’un moment je me suis cru transporté
dans les murs d’un pensionnat, au milieu des rires francs
et naïfs de la jeunesse. Nous pensons , disait le père Cyprien , que
le travail a besoin d’être soutenu par les plaisirs innocents ; aussi
avons-nous fait tous nos efforts pour leur donner du goût pour
ces derniers ; en même temps que nous leur prêchions, autant
par l’exemple que par la parole, les avantages de l’occupation. Car,
ajoutait il, notre mission est non-seulement d’instruire ce peuple
dans notre religion,mais encore de lerendre le plus heureux qu’il
est en notre pouvoir.
Ce jour-là, j ’ai été témoin d’un trait de probité, qui m’a fait un
plaisir indicible et donné la mesure du changement que le christianisme
a opéré, en si peu de temps , sur les moeurs de ces sauvages.
Un naturel arrive à moi, me présentant un papier dans
lequel étaient des bagues et des épingles en cuivre, divers objets
pour lesquels ils ont beaucoup de goût ; ils recherchent surtout
les bagues pour eux et leurs femmes , croyant que l’anneau nuptial
est le signe extérieur du mariage. A force de signes, il me fit
comprendre qu’il avait trouvé ce paquet dans le chemin, et il parut
très-peiné quand je lui fis comprendre que ce n’était pas à
moi. Il alla de même l’offrir à tous les officiers qu’il rencontra,
et revint à moi avec une mine piteuse, après deux heures de recherches
infructueuses. Je me trouvais précisément.alors avec le
propriétaire des objets , qui les reconnut et donna en récompense
mie épingle à l’honnête homme qui lui avait rapporté le tout. Par
l’entremise d’un Français établi dans l’île,' l’indigène ditqu il préférait
une bague à une épingle, et M. le docteur Jacquinot lui
donna alors une bague avec le plus grand plaisir. Le pauvre naturel
ne savait s’il devait rendre 1 épingle, et dit alors a 1 interprète
: « Je n’ose pas la lui demander ; mais s’il met son papier
dans sa poche, ce sera une preuve qu’il me donne les deux. » Certain
du double présent, il montra une grande joie ; et j avoue que
j’étais ému de la probité de cet homme, dont toute 1 éducation
première le portait au vol ; il en a horreur aujourdhui, paice
qu’on le lui a défendu hier. Plusieurs traits du même genre m ont
prouvé que ce peuple est le plus parfait qui existe, et offre la véritable
image de l’âge d’or des poêles.
{Al. de Mon/race!.)
N o t e 7 1 , p a g e i 43.
Sur ma foi, le roi Mapouteoa est vraiment populaire. Non-
seulement il donne la poignée de main à tort et à travers , mais il
se familiarise même avec son peuple ; ainsi, il a fait pour ainsi
dire son ami d’un de nos matelots, Corse de nation , qui porte le
même nom que lui. 11 est vrai qu’ils sont à peu près de la môme
couleur, et que notre matelot a bien l’air un peu sauvage; mais
alors raison de plus pour garder son décorum de roi. 11 nous a
cédé sa case pour y déposer nos instruments. Il a, je crois, grand
peur de nous , et une chaîne métrique qu’on avait portée à terre
pour mesurer une case, lui causa de grandes frayeurs. Je suis
persuadé que les missionnaires ont grand soin de maintenir ces
misérables dans une crainte de tout ce qui est Français et surtout
militaire. Les missionnaires sans doute leur avaieut appris ce. mot
et sa valeur, car ils avaient tous bien soin de nous demander si
nous étions militaires. Ils paraissaient alors nous regarder avec
plus de respect. |H
(Ai. Gourdin.')