Vers une heure après midi, M. Jacquinot et moi
nous allons rendre notre visite au consul américain,
M. Delano ; il a réussi à élever une charmante habitation
, grâces aux travaux bien entendus qu’il a fait
exécuter. De concert avec son frère, il a acquis la
colline tout entière, dont ils se trouvent ainsi seigneurs
et maîtres absolus.
Les deux familles vivent dans une union parfaite,
et tout leur intérieur respire cette aisance, cet esprit
d’ordre et ce merveilleux confortable qu’on chercherait
en vain dans les familles les plus opulentes du
pays ; car cela tient à la différence des manières et des
habitudes nationales, bien plus encore qu’au degré
de la fortune.
A ma prière, M. Delano s’était enquis des détails
relatifs à la perte du navire français dont il m’avait
déjà parlé. Mais ce n’était pas dans la Mer du Sud que
le fait avait eu lieu, c’était aux Malouines que ce bâtiment
s’était jeté à la côte au mois de février dernier.
Neuf hommes avaient péri dans le naufrage.
Au reste comme les survivants se trouvaient dans un
lieu habité, et de plus très-souvent fréquenté, je ne
jugeai pas nécessaire d’aller à leur secours ; d’autant
plus qu’il eût fallu pour cela renoncer à mes projets
pour l’avenir.
En revenant à la plage, nous avons été faire une
visite à l’hôpital. Nous avons trouvé en général tous
nos malades marchant rapidement vers leur rétablissement.
Un seul nommé Russel, souffrait de maux
d’estomac par suite d’excès dans ses aliments ; en ce
moment même , malgré ses souffrances, il était oc- 1838.
cupé à engloutir une énorme jatte de soupe, et je prévis
qu’il ne la porterait pas loin. Contre mon avis, les
médecins accordaient aux malades de trop forts suppléments
de vivres en outre de leurs rations résle-
mentaires. Aussi je les invitai vivement à renvoyer au
plus tôt sur leurs navires les hommes en pleine convalescence,
car là du moins il leur serait plus difficile
de se livrer à de pareils excès.
Le maître calfat Aude qui avait été presque condamné
par la faculté, se trouvait aussi beaucoup
mieux et se proposait bien de pouvoir continuer la
campagne.
La journée tout entière a été consacrée à nous 19.
amarrer solidement dans notre nouveau poste. Là
nous ne sommes pas à plus de deux encâblures de
terre, et en parfaite position pour nous échouer
quand le moment sera arrivé. C’est une opération
délicate et que je désirais éviter; mais je vois qu’il
faudra en venir là, autrement il nous serait impossible
de réparer tout notre cuivre, et surtout l’avarie
de la guibre.
Une attaque de goutte me cloue à bord et m’empêche
de me rendre sur la Zélée, où M. Jacquinot
m’avait invité à déjeûner avec notre consul. J’ai eu
recours à mon remède habituel, le vin de Colchique,
qui jusqu’à ce jour m’a paru propre à calmer les
douleurs de cette triste maladie.
A cinq heures du soir, M. Le Guillou vint m’annoncer
le décès de Russel, nouvelle qui ne m’étonna