une petite maisonnette blanche et assez régulièrement bâtie. C’était
le presbytère du pasteur catholique qu’ombrageaient des
bouquets de bananiers et au-dessus duquel de grands cocotiers
au* tiges élancées balançaient paisiblement leurs têtes aux feuilles
découpées. Le pasteur chrétien nous attendait sur le seuil de sa
porte avec ses'insignes épiscopaux. Il nous reçut tous avec cordialité,
et la vue de plusieurs compatriotes parut lui causer une
vive émotion. Après avoir rempli auprès de lui la mission dont
j’avais été chargé parle commandant, je lui donnai les nouvelles
les plus fraîches que j ’avais sur notre patrie ; mais la petite,
goélette anglaise que nous avions rencontrée à la mer, le 23 juin,
et qui était arrivée aux Gambier quelques jours avant nous, avait
mis les missionnaires au courant de tout ce que nous pouvions
savoir; aussi l’évêque paraissait-il aussi bien informé que
nous.
Après les quelques causeries que réclame toujours la bienséance,
nous demandâmes à Monseigneur la permission d’aller
visiter un peu son petit royaume. Il voulut nous servir lui-même
de cicéi one et nous monlra successivement tous les progrès .que.;
les missionnaires avaient fait faire à ces peuples depuis les trois
ans qu ils vivaient au milieu d’eux. Leurs moyens de réussite
avaient été bien faibles, et cependant ils avaient obtenu de grands
résultats.
Pendant que nous nous promenions ainsi au milieu des bananiers
et de cette belle végétation tropicale, toute la population de
l’île nous entourait, et M. l’évêque était accessible pour tous. A
chaque pas, c’était une caresse qu’il faisait aux enfants, ou un
mot obligeant qu’il adressait aux plus laborieux ou à ceux qu’il
préférait. Quant à moi, la première impression que me fit ce tableau
touchant et nouveau fut une des plus douces de ma vie
voyageuse. Je me voyais entouré par un peuple que des navigateurs
avaient dépeint sous des couleurs peu favorables, et cependant
il m’accueillait avec tant d’affabilité que j ’avais peine à croire
à un passé qui s’accordait si peu avec ce que je voyais. Tous ces
hommes, ces groupes d’enfants, ces femmes avaient un certain
je ne sais quoi qui m’engageait à les croire bons et hospitaliers.
M. l’évêque nous montra sa nouvelle église qu’il faisait bâtir,
son four à chaux, ses diverses ressources; mais ce qui me plut
davantage, fut la vue ,d’une modeste case en bambous que surmontait
une petite croix en bois noircie, c’était là que s’était dite
la première messe; et je sentis qu’au lieu d’employer l’industrie
de sa petite population à tailler la pierx-e pour élever une autre
église plus belle et plus confortable, Monseigneur aurait mieux
fait en la dirigeant vers un autre but plus profitable au bien-être
des habitants. Dieu se plaît partout, et je suis convaincu que la
chapelle en chaume lui fait autant de plaisir qu’un autel de
marbre.
Le jour baissait ; j ’avais, en traversant la rade, remarqué plusieurs
lignes de brisants au milieu desquels je ne me souciais pas
de me jeter inopinément pendant la nuit. J’en fis la remarque à
M. l’évêque., et après avoir pris congé de lui et de toutes ses
ouailles, je ralliai mes canotiers et j ’appareillai pour retourner à
bord de XAstrolabe. Il était six heures du soir, à peu près, quand
je quittai Ao-Kena, et une jolie brise aurait pu nous conduire à
bord en une heure au plus : mais quand nous eûmes dépassé la
pointe de l’île, nous rencontrâmes une brise faible et des brisants
qui nous forcèrent d’amener nos voiles et d’armer nos avirons.
A huit heures et demie seulement nous arrivions à peine, et nous
comptions faire un véritable plaisir à nos camarades en leur
apportant quelques bananes, mais la corvette en regorgeait
déjà.
[M. Marçscot.)