des primes était devenue plutôt une spéculation nouvelle qu’un
encouragement pour les armateurs et les capitaines baleiniers.
Le plus souvent, les baleiniers qu’on envoie à la pêche sont
commandés par des hommes dont toute l’éducation consiste dans
le savoir faire du métier et qui ont acquis la routine nécessaire
pour observer les astres et en déduire leur position géographique.
Ils ont sous leurs ordres quatre lieutenants ou chefs de pirogues,
un médecin, quatre harponneurs, un charpentier, deux tonneliers,
un cuisinier, un maitre d’hôtel, un coq, un forgeron et
seize matelots, le nombre de ces derniers varie suivant la grandeur
du navire. Excepté le médecin, tous les autres sont des gens
passablement grossiers et brutaux, que le commerce ordinaire ne
veut pas employer, que l’appât du gain ou l’éloquence persuasive
d’un capitaine séduit et entraîne. Il est bien rare, par conséquent,
de rencontrer parmi eux quelqu’un capable de contrôler la
manière de naviguer d’un capitaine ou de prouver au besoin, qu’il
s’est jeté volontairement à la côte.
Eh bien! on a vu des armateurs assurer leurs navires avec
leurs cargaisons à venir pour une somme qui excédait leur valeur,
et s’arranger avec ceux qui les commandaient pour les
faire jeter à la côte une fois le cap Horn doublé. A l’aide de la
prime qu’ils touchaient alors ou de l’argent que les compagnies
d’assurances leur comptaient, ils couvraient les dépenses de l’armement,
se payaient de la valeur de leurs navires perdus, et jouissaient
d’un certain bénéfice qu’ils n’étaient pas obligés de partager
avec l’équipage. C’est une manière comme une autre de placer
son ax’gent.
Bien plus, les capitaines trouvaient le moyen de s’arranger avec
certaines autorités faciles de la Mer du Sud, et à l’aide d’habiles
escroqueries, parvenaient à vendre en apparence à vil prix les
débris du navire, tandis que c’était eux-mêmes qui les achetaient
pour les revendre ensuite, suivant leur intérêt, à un prix qui se
rapprochait plus de leur valeur réelle, ce qui était encore plus
ruineux pour les assureurs qui sont bien obligés de s’en rapporter
à des procès-verbaux revêtus de certaines signatures qu’on a
surprises sans doute. Les équipages en attendant, étaient mis
à terre à la disposition des consuls ou agents consulaires français
qui s’en débarrassaient, soit en les faisant embarquer sur d’autres
baleiniers, soit en les renvoyant en France sur des bâtiments de
guerre, d’après les ordonnances.
Ces malheureux matelots retournaient dans leurs ports avec
la poignaDte idée d’avoir travaillé pendant un an quelquefois
pour revenir plus pauvres qu’avant le départ. Mais, va-t-on me
dire, le crime de baraterie est prévu par la loi qui le punit sévè -
rement. Eh ! pensez-vous donc qu’un capitaine sera assez sot
pour ne pas éluder cette loi, alors qu’il n’y a pas là d’autorité
pour l’accuser et le convaincre, n’ayant à son bord poulie
juger, que des officiers qui savent seulement conduire
une pirogue et carguer une voile quand il le faut. 11 lui devient
facile de leur faire signer un procès-verbal qui le rend blanc
comme neige, et qui démontre que c’est par une magnifique manoeuvre
ou par la rupture inopinée d’une chaîne, qu’il s’est
jeté à la côte. J’ai entendu raconter, pour ma part, plusieurs
naufrages de baleiniers, et sur la demande que je faisais, on m’a
toujours répondu que c’était de beau temps et que personne n’avait
péri : au reste, l’insouciance des capitaines pour sauver leur
navire, l’espèce de dépit qui perce malgré eux quand un bâtiment
de guerre leur porte aide et assistance, tout confirmerait
l’opinion que j’ai à cet égard, quand bien mèmë ils ne seraient
pas, comme cela arrive, les premiers à se vanter d’un semblable
trophée.
Il y a même des capitaines, qui de leurpropre autorité, aiment
mieux perdre leur navire que de revenir en France sans un bon
chargement. Par là ils permettent a l’armateur de recouvrer ses
frais,de faire même un certain profit, etils espèrent par cette conduite
qui ne manque pas d’une certaine adresse, obtenir un second
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