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Quand l’heure des observations fut arrivée, nous nous dirigeâmes
de nouveau vers le môle, toujours suivis par une foule
nombreuse. Mais là ce fut tout autre chose , quand nos instruments
furent tii'és de leur boîte et mis en jeu. Une exclamation
sourde sortit de toutes les bouches; puis ils observèrent le plus
grand silence, et formèrent autour de nous une ceinture vivante
assez épaisse. Le cercle intérieur était occupé par tous les
enfants, dont on ne voyait que la petite téte noire et intelligente
sortant de leur draperie blanche. Les hommes plus âgés et
les vieillards non moins curieux, mais moins empressés, occupaient
les derrières. Us restèrent 1> sans faire un mouvement, les
yeux constamment fixés sur nos actions etnos gestes, jusqu’à neuf
heures et demie. Mais alors le roi lui-même et plusieurs hommes
tenant en main de longues lances , parurent sur le môle et donnèrent
quelques ordres qui furent tellement bien compris que,
quelques minutes après, tous les curieux avaient vidé la place,
et nous nous trouvâmes aussi seuls que si nous nous fussions
trouvés sur une île déserte. Nous apprîmes peu après que l’heure
de la messe était arrivée , et tous évidemment devaient s’y rendre,
sous 1e coup probablement d’un châtiment quelconque, si un
d’eux avait osé manquer à ce premier devoir du chrétien. Me souciant
fort peu d’aller à la messe, je restai sur le môle quelque
temps encore, et allai ensuite me promener devant la case du roi,
attendant 1 heure de la sortie. Je fumais tranquillement un ci—
gaire, et je considérais avec chagrin un malheureux coq que ces
sauvages avaient plumé avant de le tuer, lorsqu’un chant sourd et
cadencé vint frapper mon oreille. Comme ce chant arrivait de
1 église, je m y transportai presque aussitôt malgré moi. Arrivé
là, je fus, j ’en conviens , ému un instant. La moitié de la population
de l’île , réunie dans une église en roseaux et couverte de
chaume, peuple sauvage encore il y avait trois ans, adressait sa
prière au Créateur. Ce n’étaient point là nos églises avec un grand
accompagnement d'instruments qui suffisent à peine pour attirer
nos fidèles. On n’y voyait point des chapeaux de toutes les formes
, des toilettes magnifiques de femmes à genoux sur un fauteuil
, faisant admirer leur taille gracieuse faite malheureusement
par un corset qui les gêne beaucoup. C’était tout
simplement un tas. d’hommes et de femmes à moitié nus , à genoux
sur la pierre, et chantant les louanges du Seigneur sans
arrière-pensée. Malheureusement, la satiété tue. Je restai béant
à la porte de l’église pendant un assez long temps. J’entendis répéter
le même chant plusieurs fois ; je vis le mécanisme ; j ’entendis
la voix de celui qui commandait le chant : je compris enfin la
machine. Alors tout l’édifice élevé par mon imagination s’écroula.
Je n’entendis plus dans ces chants que les cris d’une masse de
. grenouilles coassant pour un instant en mesure. Je quittai aussitôt
l’église moins attendri que je n’y étais entré, et je repris
mon eigarre. 11 me fallut aller sur la côte de l’île faisant face à
Taravaï ; ne connaissant point les sentiers qui pouvaient y conduire,
j’avais besoin d’un guide, et, comme j ’avais plusieurs
objets assez lourds à porter, je pris un autre insulaire. Ces bonnes
gens chargèrent la planche du micromètre sur lëurs épaules,
prirent aussi une chaîne dont je voulais comparer la base mesurée
avec celle obtenue par le micromètre, et je .partis précédé par
mes deux guides, laissant la le peuple dans 1 admiration , a
la vue de tant d’objets nouveaux pour eux. Ainsi que je l’ai su
plus tard , le départ de la chaîne inoffensive causa un grand soulagement
à l’âme oppressée du bon roi Mapouteoa. Il paraît que
parmi les sentiments divers qui l’avaient affecté à la vue de tous
les objets que nous avions déposés chez lui, la peur avait joué
un très-grand rôle , quand il aperçut la malheureuse chaîne. Ce
pauvre diable de ro i, que les missionnaires ont voulu nous faire
passer pour un grand homme , s’était figuré que nous étions ve