Dès que l’armateur a choisi le capitaine de son navire, if lui
laisse le soin de former un équipage, après avoir fixé toutefois le
taux auquel il peut intéresser chaque matelot. Ce taux varie suivant
les négociants, et la grandeur des bâtiments ; il flotte habituellement
entre le 225® et le 232e du chargement.
Ainsi sur un navire de 2000 barriques, un matelot s’il part au
232e, après deux ans de fatigues et de peine, et dans l’hypothèse
que le voyage a été fort heureux, aura pour sa part 8 barriques
Ifi vendues au prix moyen de 80 fr., elles lui compléteront
une somme de 6 à 700 fr. à peu près ; c’est ce que nos matelots
de l’Etat gagnent à bord des bâtiments de guerre où ils ont infiniment
moins de mal. Si les baleiniers étaient sûrs au moins de
courir les chances heureuses du cours, on ne pourrait pas les
plaindre autant, peut-être; mais quand ils arrivent à terre,
comme tous les gens de mer, ils sont pressés de jouir, et l’armateur,
profitant de cette disposition favorable à ses intérêts, fait
acheter le chargement au plus bas prix possible par un de ses
agents secrets, et remet à chacun des pécheurs empressés la
somme qui lui revient d’après son engagement, et qui dépasse
bien rarement 6 ou 700 fr., pour deux ans au moins de campagne.
Quant à lui, il ira s’arranger ensuite à la bourse, pour faire
monter le prix de l’huile, et quand l’occasion sera bonne, il
vendra une seconde fois ce chargement qui n’a pas cessé d’être
à lui.
D’après cela, qu’on juge si les capitaines trouveront de bons
matelots pour les accompagner. Ils en choisiront à des conditions
meilleures quatre ou cinq peut-être, parce qu’ils leur en faut
bien quelques-uns, et quant aux autres, que leur importe ; ils
seront toujours assez bons pour nager dans les pirogues ou hâler
sur les cordes ; aussi ce sont des gens sans aveu qui se présentent,
des hommes de tous métiers que leur inconduite ou leur
incapacité laisse sans travail et sans pain. Ils partent volontiers au
232® peu leur importe; il s’agit pour eux de quitter une ville où
ils sont trop bien connus, pour aller chercher fortune ailleurs e t,
se livrer, à leur tour, à quelques prouesses scandaleuses, sur
les côtes de l’Amérique du sud. On ne me fera jamais croire
après cela qu’avec fle tels échantillons, on fera des matelots
capables et bons ; on n’en fera tout au plus que des hommes
qui ne mettront le pied sur les bâtiments de l’Etat, que
pour se faire condamner à la cale, à la bouline ou au boulet,
pour insubordination ou mauvaise conduite.
Certains capitaines s’arrangent néanmoins d’un semblable
équipage, ils savent en tirer parti et profit ; d’honnêtes sujets,
de bons matelots les gêneraient, car ceux-ci ont un gros bon sens
et une certaine perspicacité pour comprendre et deviner la mauvaise
foi de ceux qui les commandent.
Par exemple, avec un équipage de vauriens, si la pêche est
heureuse, certain capitaine favorisera la débauche de ses hommes,
et quand ils auront besoin d’argent, ils trouveront un honnête
usurier dans celui qui les commande, pour leur prêter des fonds
à 20, 3q et même 4° P- 100 d’intérêt. Comme il y a à bord des
barriques d’huile qui répondent pour celui qui emprunte, cet
argent avancé est donc assuré, et il y a vol scandaleux de la part
de cet homme qui profite des faiblesses ou des besoins de celui
dont il devrait être le protecteur naturel.
Quant au capitaine qui part au i 5®, et c’est habituellement
comme cela qu’il débute, admettons qu’il commande le bâtiment
de 2000 barriques dont j ’ai parlé plus haut, au retour, il en aura
i33 pour sa part, et vendues à 80 fr. (prix moyen), elles lui rapporteront
de dix à onze mille francs. Voilà qui est mieux en rapport
avec le gain que fait l’armateur; aussi cette proportion qu’on
peut encore augmenter par son talent de pêcheur, est-elle généralement
approuvée par tous ceux que cela regarde pei’sonnelle-
ment. Les officiers sont rétribués aussi d’une manière plus équitable,
et l’arrangement qu’ils font avec l’armateur dépend beau