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Août. Ces hommes sont bien tournés, vigoureux, agiles,
plus ou moins tatoués et porteurs de figures intelligentes.
A bord ils se comportèrent décemment et se
contentèrent de recevoir ce qu’on leur donna en paiement,
sans faire là moindre tentative de larcin. Tout
en montrant de la confiance, ils sont déjà d’habiles
brocanteurs. L’un d’eux plus accoutumé au commerce
avec les blancs, me donna les noms des différentes
îles de l’archipel, et ces noms se rapportaient
assez bien à ceux que j’ai adoptés sur ma carte de
l’Océanie et dans le Voyage pittoresque. Pour m’inviter
à aller mouiller sur l’île Hiva-Hoa, ils m’ont
assuré que j’y trouverais beaucoup de cochons, de
patates, de bananes, de femmes, appuyant sur ce dernier
mot avec une intention très-marquée comme des
gens persuadés que ce serait là l’argument le plus puissant
pour me déterminer. Mais quand ils virent que
leurs instances étaient inutiles, et que j’étais décidé à
aller à Taïo-Hae sur Nouka-Hiva, ils nous quittèrent
pour aller faire un tour sur la Zélée où ils espéraient
peut-être mieux réussir
Le capitaine Jacquinot profita du calme pour venir
me voir, et je lui donnai de nouveaux renseignements
pour l’arrivée au mouillage à défaut de plan dont je
n’avais même pas un croquis imparfait. Je lui communiquai
aussi la défense relative au commerce de la
poudre que j’avais signifiée déjà à bord de Y Astrolabe,
pour la faire mettre également à exécution à bord de
son navire. J avais déjà pu acquérir la certitude que
si je tolérais de la part des officiers des échanges de
poudre contre des objets d’industrie, cette denrée ne
tarderait pas à perdre sa valeur, et je n’aurais plus
aucun moyen de me procurer des vivres pour l’équipage
; et cela sans parler des abus auxquels ce brocantage
pourrait donner lieu. En conséquence, je
chargeai le lieutenant M. Roquemaurel d’annoncer
aux officiers, élèves et matelots que le commerce de
la poudre serait sévèrement interdit, à moins qu’il
n’eût pour but d’obtenir des provisions de bouche
pour les tables. Comme en toute circonstance semblable,
je donnai le premier l’exemple de la soumission
à cette loi.
A peine M. Jacquinot avait-il débordé de Y Astrolabe
, que deux nouvelles pirogues vinrent nous
accoster. Chacune d’elles, très-étroite et montée par
quelques naturels, se composait d’un tronc d’arbre
creusé et assez proprement travaillé. Deux planches
artistement cousues sur chaque côté du tronc servaient
de plats-bords à la pirogue.
L’un de nos nouveaux visiteurs, homme d’une
quarantaine d’annees, bien fait, bien bati, monta a
bord sur-le-champ, comme une vieille connaissance,
se fit indiquer le capitaine; puis sans regarder un
seul des autres, s’avança directement vers moi, et me
salua avec aisance en me donnant une poignée de
m a i n que j’acceptai. Voyant que je l’accueillais, il
débuta par m’annoncer dans une espèce de jargon
mêlé d’anglais, d’espagnol et de nouka—bivien, quil
avait beaucoup navigué avec les Anglais et les Américains,
qu’il était allé en Angleterre et même à Gou-
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