Regardant la pêche de la baleine comme une source de richesses
pour notre commerce, et surtout comme une excellente chose
pour former des matelots ; j ’arrivais donc avec les dispositions les
plus bienveillantes et par suite les plus propres à juger honorablement
ceux qui exploitent ce genre d’industrie. Mais les confidences
et les aveux que j ai dus tantôt a la naïveté des capitaines,
tantôt à leur bonne foi, et le plus souvent à leur besoin de raconter,
ont singulièrement modifié l’opinion que j ’avais d’abord
conçue sur cette pêche et sur ceux qui la font.
¿Sans parler ici de l’origine de cette industrie, des Norvégiens et
des Zélandais qui l’exploitèrent d’abord dans le neuvième siècle,
des Basques pêcheurs du dixième, et sans me permettre de raconter
avec sang-froid la chasse miraculeuse de cet heureux Scandinave
qui, en 900 et quelques années, tua dans les parages du cap
Nord, soixante baleines en deux jours, je dirai seulement qu’à la
suite de nos guerres maritimes, on négligea la pêche de la baleine
en France et qu’on l’oublia même tout-à-fait. Les Anglais, les
Américains et, en général, tous les peuples du nord de l’Europe,
s’en occupèrent plus ou moins et se chargèrent, sous des pavillons
amis, d approvisionner nos ateliers de cette huile si nécessaire à
certaines industries.
Enfin, quand arriva la réaction de i 8i 5, et que le commerce
commença à respirer en France, le gouvernement comprit tout ce
qu’il y avait d’onéreux et d’humiliant pour nous à demander aux
étrangers ce que nous pouvions prendre nous-mêmes. 11 voulut
encourager la pêche ét la faire sortir plus active que jamais du
long oubli dans lequel elle était plongée ; pour remplir ce but, il
eut l’ingénieuse idée de créer des primes d’encouragement pour
les armateurs qui voudraient essayer les chances de cette pénible
industrie.
La première ordonnance parut le 8 février 1816, et la prime
qu’on offrait aux négociants était telle qu’elle couvrait au-delà les
dépenses d’un armement, en admettant un manque complet de
réussite. Cette générosité ministérielle rassura plusieurs armateurs,
et l’on vit, dès cette époque, nos ports du nord expédier un
petit nombre de bâtiments dont les équipages étaient composés
suivant le texte de l’ordonnance royale , c’est-à-dire d’étrangers
qui connaissaient ce genre de navigation, et de matelots français
qui voulaient l’apprendre.Pendant les premières années qui suivirent,
il y eut encore de l’hésitation, puis enfin on s’habitua peu
à peu à l’idée d’aller à la pêche. Elle fut heureuse et lucrative
pour ceux qui en revinrent les premiers ; dès-lors chacun voulut
armer, le gouvernement avait rempli son premier but.
11 s’agissait maintenant de rendre cet élan profitable au commerce
et à notre marine si malade encore de ses récentes blessures.
On pensa d’abord que les bâtiments baleiniers étaient une
rude et bonne école pour former des gens de mer, et le gouvernement,
par de nouvelles ordonnances, força les primes pour les
navires armés et commandés par des Français seulement : il fit
plus, il accorda des franchises aux marins qui partaient pour
cette navigation ; on les exempta d’un certain nombre de mois de
service sur les vaisseaux de l’Etat; des brevets de capitaine de
pêche furent donnés à ceux d’entre eux qui se sentaient capables
d’occuper un pareil poste après trois campagnes, ou qui justifiaient,
par examen, de leurs connaissances en ce genre de navigation;
enfin, au bout de quelques années, la France, sans pouvoir
encore lutter avec les Américains et les Anglais, put cepen-
dan t se passer d’eux et approvisionner elle-même ses ateliers.
Je crois avoir tracé ici l’historique succinct de la pêche de la
baleine depuis 1816 jusqu a nos jours ; les vues du gouvernement
étaient droites et saines, et le but qu’il s’était proposé parut
rempli aux yeux de beaucoup de gens, et j ’étais entièrement de
cet avis.
Mais, depuis que je me suis trouvé à même de voir les choses
de plus près, j ’ai compris que cet échafaudage de si bonne apparence,
péchait par la base, et que l’institution bienfaisante et sgge