Par cette conduite sage, louable et modeste, ils
avaient réussi à se concilier l’estime et rattachement
des naturels qui les considéraient comme leurs
véritables pères. Leur respect et leur enthousiasme
pour M. de Nilopolis .ne pouvait pas être surpassé.
Presque tous mes compagnons s’unirent à moi pour
applaudir aux succès de nos dignes compatriotes;
et je crus m’apercevoir que les étrangers eux-mêmes,
Anglais ou Américains, nonobstant leurs préjugés et
leurs préventions religieuses et nationales, ne pouvaient
s’empêcher de rendre justice à la conduite
exemplaire, à la modestie et à la charité sans bornes
de nos missionnaires , vertus qui contrastaient si
fort avec la cupidité, l’orgueil, l’intolérance des méthodistes,
vices arrivés à un tel degré qu’ils étaient
devenus le sujet de la réprobation universelle.
Le bruit des succès de la mission française se répandit
jusqu’à Taïti, et la conduite de ces nouveaux
apôtres toucha vivement les habitants de celte île
déjà bien fatigués des leurs et de leurs exactions
continuelles. Dans leur langage naïf, « Les Français,
disaient-ils, donnent toujours et ne demandent
jamais, mais les Anglais nous demandent toujours
et ne nous donnent jamais rien.» Aussi bon
nombre désiraient-ils déjà vivement changer leurs
directeurs spirituels. Les Anglais, justement effrayés
de ces menaces et de ces dispositions nouvelles, tremblaient
à la possibilité de voir s’échapper de leurs
mains l’autorité despotique qu’ils s’étaient arogée
dans ces îles; leur orgueil en était pour le moins autant
froissé que leur cupidité, et ils s’eiforçaient d y
obvier autant qu’il était en eux en redoublant les
plus sales et les plus ridicules calomnies contre l é-
vêque, les missionnaires et les Français en général.
Leur refrain perpétuel était que la reine d’Angleterre
enverrait châtier les Taïtiens, si elle apprenait qu’ils
devenaient infidèles à sa religion.
Cependant, en 1835, MM. Laval et Carret enhardis
par les succès obtenus à Manga-Reva et apprenant les
dispositions de plusieurs chefs de Taïti en leur faveur,
crurent que le moment était arrivé de leur faire
adopter les principes de l’église catholique en place
des doctrines du protestantisme, et ils se rendirent à
Taïti sur un navire anglais. Les missionnaires anglais
et M. Pritchard à leur tête, avaient eu soin d’obtenir de
la reine l’ordre de defendre aux Français de mettre
les pieds sur l'île ; mais ceux-ci, ayant débarqué dans
le sud, loin de la résidence royale et du principal
chef-lieu des missions, parvinrent à éluder cette défense.
Ils réussirent à se rendre assez paisiblement
à Pape-iti et furent même quelquefois accueillis avec
faveur par les insulaires.
M. Pritchard et ses collègues, consternés à cette
nouvelle, redoublèrent d’intrigues et de menaces sur
l’esprit de la reine Pomare-Wahine pour les chasser
de l’île. Celle-ci était peu disposée à prendre une mesure
aussi violente et alléguait a ce sujet que le roi
des Français avait aussi des vaisseaux qui viendraient
demander raison de l’outrage commis sur ses sujets.
Enfin la pauvre femme céda et les principaux chefs