tendait lui-même qu’un canot pour se transporter à
bord de XAstrolabe. Sur-le-champ, les charpentiers
furent envoyés à terre afin de préparer convenablement
le lieu destiné à nous servir d’hôpital temporaire.
Après un déjeûner frugal, mais délicieux, comme il
est facile de le concevoir après trois mois de privation
de vivres frais, je me rendis à bord de la frégate anglaise
avec M. Jaçquinot, pour présenter mes devoirs
à l’amiral anglais. Nous fûmes d’abord reçus par M. le
capitaine Scott, homme de cinquante ans, d’un abord
franc, cordial, et dont les manières aisées et naturelles
préviennent à la première vue. Il nous offrit ses services,
et je crois qu’il était sincère ; d’ailleurs il s’exprimait
en français assez facilement pour se faire
comprendre. Puis il nous présenta à l’amiral Ross,
petit homme tout rond, tout commun et dont la physionomie
ne pouvait indiquer qu’une grande simplicité.
Cet homme parlait peu et ne savait pas un mot
de français; mais en revanche sa femme qu’il venait
d’épouser en secondes noces et qui avait séjourné assez
longtemps en France, aimait beaucoup à s’entretenir
dans cette langue et suppléait largement au silence de
son mari. Outre Madame Ross, se trouvaient avec elle
une soeur, un enfant et deux ou trois servantes.
C’était un ménage complet ; mais certains bruits
qui parvinrent jusqu’à moi me prouvèrent plus que
jamais que, même chez nos voisins, plus graves et
plus réservés que nous, la présence des femmes sur
un navire n’est excusable qu’en cas d’une absolue
nécessité.
M. Ross nous fit l’honftèur, à M. Jaçquinot et à moi,
de nous inviter à dîner le lèttdemain avec lui. Tous
deux nous nous excusâmes sur l’état actuel de
notre santé et le besoin que nous avions de nous ménager
sous le rapport de la table. Je tremblais, en
effet, à l’idée Seule d’être obligé de figurer à un dîner
anglais * et surtout au pass wine obligé, dans la position
où je mê trouvais. Deux heures dans les champs
étaient préférables pour moi à tous les repas, à tous
les galas du monde.
Nos officiers se prêtèrent avec un abandon complet
aux politesses et aux avances de MM. les officiers
anglais. Le besoin d’expansion si naturel en général
au caractère français avait en cette occasion un
nouveau stimulant par un séquestre obligé de toute
société depuis bientôt six mois; pour eux de nouveaux
visages étaient chose si douce, il était si agréable
de pouvoir leur conter tout ce qu’ils avaient fait et
souffert !.. * Aussi les Anglais furent-ils bientôt au courant
de ce qui s’était passé ; cartes, dessins, observations,
tout fut soumis à leurs regards, et l’on doit
convenir qu’en revanche, ils furent très-prodigues
d’admiration et d’éloges, beaucoup plus qu’ils n a-
vaient coutume de l’être, surtout envers des Français
appartenant à la marine. Aussi j’y ajoutai si peu
de foi que j’étais même porté à leur attribuer parfois
certain cachet ironique, et à croire que si nous
eussions pu dépasser la limite de Weddell, ils auraient
été plus réservés dans leurs louanges. Moins
habitués à leurs allures, nos officiers en furent