Les naturels sont tous jeunes, bien conformés,
alertes et vigoureux. Ils sont d’une humeur douce et
paisible, se montrent très-sensibles aux avances d’amitié
qu’on leur fait et disent à chaque instant qu’ils
sont catholiques; ils ne mettent pas un morceau à la
bouche, sans faire le signe de croix et paraissent
surtout très-heureux quand quelques-uns de nos
hommes en font autant et leur débitent quelques
mots de prières. Chez ces nouveaux chrétiens règne
aussi toute l’ardeur du néophyte.
Ensuite je continuai à courir des bordées le long
du récif pour donner dans la passe du S. E. Mais la
brise d’ouest non-seulement resta contraire, mais
elle mollit par degrés, et le courant nous reportait
évidemment au N. 0. Ainsi nos efforts furent inutiles,
et je vis qu’il fallait encore ajourner notre entrée
au lendemain.
Le soir je fis avertir mes hôtes qu’il était temps de
songer à rejoindre leurs pénates. Tous depuis M. de
la Tour jusqu’au dernier des naturels, témoignèrent le
désir de passer la nuit à bord. Bien que cela pût entraîner
des inconvénients, surtout si les vents nous
forçaient à quitter brusquement ces îles, je ne pus
refuser cette satisfaction à des gens qui semblaient se
trouver si heureux d’être avec nous. Un lit fut dressé
dans ma chambre pour M. de la Tour, les deux marins
furent logés dans le faux pont, et les naturels furent
établis dans la chaloupe sous des bonnettes et des
voiles de rechange.
Plusieurs de nos officiers, impatients de satisfaire
leur curiosité au sujet des résultats obtenus par les
missionnaires sur l’esprit des sauvages, mirent à contribution
les trois Français. Tout en différant sur la
forme et quelques détails, les renseignements obtenus
de la part de M. de la Tour comme des deux aventuriers
s’unissaient à représenter les naturels depuis
leur conversion comme des hommes dociles, bons, et
même hospitaliers. Désormais les Européens ne couraient
pas chez eux l’ombre d’un risque, et leur piété
était devenue exemplaire*.
Pour moi, selon ma coutume, empressé de pouvoir
substituer les véritables noms de la langue du pays,
aux noms provisoires imposés par le premier qui visita
ces îles, je questionnai M. de la Tour, et j’appris
que 1° la grande île, et par conséquent le groupe entier
avait nom Manga-Reva ; 2° l’île Elson de Beechey
devait s’appeler Ao-Kena; 3° Wain-Wright, Aka-
marou; 4° Collie, Kamaka; 5° enfin Belcher, Taravai.
Ce seront là les seules désignations que j’emploierai
désormais.
Nos naturels se prêtent avec beaucoup de condescendance
aux mesures et aux observations de tout
genre que les médecins exécutent sur diverses parties
de leur corps. L'un d’eux pousse même la complaisance
jusqu’à laisser mouler sa tête entière par M. Du-
moutier, et il subit l’opération complète sans faire un
seul mouvement et sans donner un signe de mécontentement
ou d’ennui. Ce succès inespéré sur lequel