sition d’un terrain si bien fait pour être l’emplacement
d’une citadelle, et d’y déployer le pavillon de sa nation
à tous les regards, tandis que celui du pays est piteusement
planté au bord de la mer, où on l’aperçoit à
peine de dessus les navires en rade.
Ensuite nous fîmes le reste de Ja route, à moitié
dans les jolis taillis qui tapissent l’extrémité de la
presqu’île dans cette partie, et le reste au travers des
vastes pâturages qui viennent immédiatement à sa
suite. Les feuilles des plantes et des herbes couvertes
de rosée, les suaves émanations qui en résultent par
l’effet de leur vaporisation devant les premiers rayons
du soleil, enfin la vue de plusieurs fleurs encore fraîchement
épanouies, malgré la saison avancée, l’aspect
de nombreux bestiaux paissant l’herbe fraîche,
tout cela me rappelait mille joyeuses impressions de
ma jeunesse. Né et élevé au milieu des champs, j’ai
toujours raffolé de ce séjour, j’ai toujours désiré y
passer la fin de ma carrière ; mais comme il arrive de
tant d’autres projets, jamais je n’ai pu le réaliser, et je
crains bien de quitter ce monde sans pouvoir jamais le
faire.
Puis, mon imagination franchissant tout à coup un
long intervalle d’années et de dégoûts sans résultats
dignes de les balancer, me rappelait que quinze années
auparavant j’avais déjà parcouru ces beaux sites.
Alors jeune encore, robuste, vigoureux, plein d’ardeur
et d’enthousiasme pour l’histoire naturelle, j’avais
exécuté de grandes courses au milieu de ces belles
contrées; la saison était favorable à mes recherches,
et j’en avais rapporté je ne sais combien de belles
plantes et d’insectes rares et même inconnus. Dans les
fossés sablonneux qui traversent ces pâturages, la
succulente fraise du Chili m’avait quelquefois servi à
calmer la soif qui me dévorait. Un jour que j’avais
formé le dessein de gravir au sommet des mamelles
de Biobio, je fus arrêté au bout de la baie de Saint-
Vincent par un torrent volumineux qui formait la
limite de la plaine ; sans hésiter je le traversai à la
nage et je fus dédommagé de ma peine par les délicieux
ombrages qui couronnent ces monticules, par
des petites pommes acidulées qui servirent à me
rafraîchir , et surtout par quelques belles espèces
de plantes que je n’avais pas encore cueillies ailleurs.
Je me plaisais à m’absorber dans ces souvenirs,
quand mon compagnon me fit considérer les trois
baleiniers français, qu’une pointe avancée m’avait
jusqu’alors cachés et qui venaient tout à coup de se démasquer.
Ces navires parfaitement abrités des vents
du large dans le petit recoin où ils étaient mouillés, se
balançaient doucement, retenus par leurs ancres, sur
une eau calme ét polie comme la surface d’un miroir.
Leurs capitaines avaient eu soin d’envoyer leurs baleinières
à la plage pour moi et les officiers qui avaient
voulu être de la partie. Mais là le préposé mis en faction
par la douane locale pour empêcher la contrebande,
fit d’abord quelques difficultés pour nous laisser
communiquer avec nos concitoyens, et cet obstacle