beau-frère, l’ancien cacique Pe'noléo, renommé comme lui pour
sa valeur. Cet Indien et les femmes de sa famille me rappelèrent
beaucoup la race patagone, dont ils ne diffèrent guère que par
la taille, qui est beaucoup plus petite. Il était vêtu du grand
puncho, manteau carré adopté par tous les Chiliens, d’une couleur
d’un brun foncé, fabriqué par eux dans l’Araucanie jadis
avec le poil d’alpachos , auquel ils mêlent aujourdhui de la laine,
et portait en dessous le pantalon européen. Son air martial et
plein de dignité, quoiqu’il.eût emprunté une partie de son costume
aux conquérants, rappelait encore ces chefs fameux dont
parle Molina, qui furent si longtemps la terreur des Espagnols,
et surent, par leur indomptable courage, préserver leur pays de
la conquête à une époque où tout cédait devant les armes des
vainqueurs de l’Amérique. Je me plus à considérer en lui le
type de ces vieux guerriers, qui ont su jusqu’à ce jour conserver
l’indépendance de leur pays ; mais j ’appris de lui des traits de
farouche cruauté et de fanatisme qu’on lui attribuait. Pénoléo,
en effet, avait été il y a quelques temps, le meurtrier de l’une de
ses femmes, et avait donné pour prétexte de ce meurtre commis
sur le territoire chilien, au magistrat qui avait été chargé de lui
en demander compte, que cette femme depuis longtemps le
fatiguait de sa jalousie, et que voyant qu’elle persistait
à le chagriner malgré tous ses efforts pour la contenter, il
n avait pu trouver moyen de s’en débarrasser, qu’en la tuant.
Ce mari cruel s’était montré dans une autre circonstance
plus impassible, en laissant enlever de chez lu i, par deux
autres Indiens, et dans la ville même de Concepcion, sa propre
fille, qui fut aussitôt massacrée, parce qu’un sorcier de la
tribu, qu’ils appelaient le Matchi, avait désigné cette innocente
a la vengeance d’une famille qui venait de perdre un de
ses membres ; Pénoléo, loin de faire la moindre résistance, vit
ce meurtre se consommer sans en témoigner la moindre émotion,.,
le regarda comme un acte de justice auquel il ne pouvait s’oppaser
tant chez lui la voix de la nature s’était tue devant celle des
horribles préjugés de sa nation, profondément enracinés dans
son âme.
Comme je tenais à me lever de bonne heure pour partir le lendemain
pour Talcahuano, je m’éveillai instinctivement à 3 heures
du matin ; mais reconnaissant bientôt mon erreur, je me recouchai
aussitôt. J’étais à peine rendormi que fus éveillé en sursaut
par un bruit et un ébranlement général, semblable à
celui que cause le passage d’une masse de cavalerie, ou celui des
voitures, quand on habite le rez-de-chaussée. Je crus d’abord
que je venais de faire un rêve ou que c’étaient des cavaliers
chiliens qui venaient de passer sous mes fenêtres ;
un instant après, le même bruit se répéta et je sentis bien
distinctement toute la maison trembler ; mon lit fut agité par
un mouvement horizontal qui dura à peine quelques secondes,
mais qui me remua d’une manière bien sensible. Dès-lors il
n’y avait plus à douter que nous venions d’éprouver une secousse
de tremblement de terre. Dans ce moment, tout le monde était
levé dans la maison et sorti des chambres; M. Bardel vint
nous avertir et nous engagea à en faire vite autant, en nous
reprochant notre imprudence d’être restés ainsi au lit après
la première secousse. Nous aurions été bien coupables si quelque
événement nous fût arrivé, car la veille on nous avait assez parlé
des tremblements de terre et des précautions à prendre. Mais
les conseils n’ont jamais beaucoup d’influence en pareil cas, sur
ceux qui ne connaissent pas le danger et qui n’ont pas pour eux
la triste expérience d’avoir vu s’écrouler des maisons et des villes.
Nous avons même manqué à la précaution indispensable, qu’on
nous avait bien recommandée , de conserver de la lumière dans
nos chambres ; car en pareil cas en se levant dès la première secousse,
sans lumière, on court risque de ne pas trouver tout de
suite la porte pour se sauver, de perdre a la chercher un temps si
précieux alors, et d’être écrasé par sa maison avant de pouvoli en