1er mai.
le cuisinier de l’état-major de Y Astrolabe, homme
d’une conduite tout-à-fait déréglée, qui doit être débarqué
ici *.
Sur les dix heures i je reçois la visite des deux capitaines
de la Salamandre et de Y Aglaé, les baleiniers
français qui venaient de mouiller sur la rade. Le premier
me pria de punir un de ses harponneurs qui avait
été insubordonné, et je fis droit à sa demande. Tous
deux se plaignaient amèrement de l’insuffisance absolue
des règlements actuels pour faire respecter leur
autorité, souvent méconnue par leurs inférieurs, et
je fus obligé de partager leur opinion.
A midi, nous faisons une salve de vingt-et-un coups
de canon en l’honneur de la fête du roi des Français.
La corvette chilienne le Monte-Agudo s’étant associée
à cette marque de réjouissance, je crus convenable de
répondre à cette avance de politesse, en lui rendant
à elle-même une salve de vingt-et-un autres coups de
canon.
Sur les deux heures, M. Bardel vient me prier de
l’accompagner à Concepción le jour suivant; comme
je me sentais encore un peu valétudinaire, j’allais remercier;
mais il ajouta qu’en ne profitant pas de son
offre, je pouvais manquer l’occasion de voir M. Lau-
zier, Français établi depuis de longues années chez
les Araucanos, ainsi que Penoleo, l’un de ces caciques
jadis associés aux exploits du trop fameux Benavidès,
et aujourd’hui paisiblement retiré à Concepción avec
* Note 26.
une pension que lüi paie le gouvernement actuel. Ces
deux motifs me déterminèrent.
En conséquence, à neuf heures du matin, je montai
avec M. Bardel dans un léger char-à-banc , e t,
traînés par un cheval vigoureux, nous fîmes rapidement
ce trajet. A cela près de quelques flaques d’eau
causées par les dernières pluies, la route était douce
et roulante. Des deux côtés, elle était bordée par
d’immenses pâturages où paissaient des milliers de
chevaux et de bêtes à cornes. On voyait aussi quelques
cabanes d’un aspect chétif et misérable, d’où sortaient
des femmes et des enfants déguenillés, sales et les
pieds nus; du reste, paisibles et inoffensifs, rarement
ils refusaient le salut à l’étranger ; sous ce rapport ils
sont préférables à bien des paysans en France, surtout
en Provence, où, loin de saluer un voyageur,
ils seraient plutôt disposés à l’injurier.
Le trajet de Talcahuano à Concepcion est de sept à
huit milles, et à deux milles de cette dernière règne
une chaîne de coteaux peu élevés, mais qui suffisent
pour établir une démarcation bien tracée entre le bassin
de Concepcion et les vastes prairies qui font suite
à la baie. Là, sur le bord de la route, et à quelques
pas sur la gauche, est un petit étang d’eau douce qui
porte dans le pays le nom de lac de Chepe. Mon compagnon
m’assura qu’au fort des chaleurs ses eaux ne
diminuaient pas sensiblement; mais il ne connaît
pas sa profondeur qui doit être peu considérable, si
l’on en juge par les roseaux dont il est à moitié couvert.