1838.
Aoilt. parut plus rassuré, je restai assis près de lui cinq ou
six minutes et lui adressai quelques mots d’amitié, puis
nous nous quittâmes très-bons amis. Je ne pouvais
m empecher de considérer avec un certain sentiment
d intérêt cet unique représentant de l’ancienne société
de ces lieux. Il est possible qu’il fût aliéné ; mais
il faut convenir qu après une si longue existence,
il voyait depuis deux ou trois ans se passer autour
de lui des choses si étranges, si inconcevables,
qu’une raison plus solide aurait bien pu en être
altérée.
Comme je revenais sur mes pas, je fis la rencontre
de M. Jacobs qui ne se trouvait pas la veille à Ao-
Kena, étant alors en route pour me rendre visite à
mon bord. M. Jacobs était établi depuis 7 qu 8 mois à
Manga-Reva pour le commerce des perles, sur lequel
il me donna quelques renseignements. Aujourd’hui,
le meilleur moyen d’échange pour le pays se fait
avec de la toile blanche qu’on achète au Chili, un réal
le yard (environ 12 sous le mètre) et à laquelle ils
donnent ici la valeur d une piastre. M. Jacobs estime
qu il revendra 1 once de petites perles à raison de 80
piastres ; plus grosses et d’une belle qualité, elles varient
de 1, 2 , 10 jusqu’à 100, 200 et même 1,000
piastres la piece. Il venait d’en acheter une au Français
Marion, moyennant une valeur réelle de 300 fr.,
même en marchandise qu’il évalue ici à 300 piastres;
mais il ne la céderait pas pour 1,000 piastres. M. Jacobs
se plaignait vivement de ce que les naturels
étaient devenus bien plus exigeants qu’autrefois pour
leurs perles ; comme je lui répondais que ses bénéfices
me semblaient assez raisonnables, il allégua qu’il
fallait aussi prendre en considération la distance, les
fatigues et les risques de ce genre de spéculation.
Il me dit ensuite que le prix ordinaire de la nacre de
belle qualité était de 10 à 15 piastres le tonneau; mais
qu’aujourd’hui ce commerce se trouvait arrêté,
attendu que les marchés d’Europe étaient encombrés
de cette marchandise.
L’écaille de tortue variait depuis 15 jusqu’à 25
piastres la livre suivant la qualité. Bureau, assure
Jacobs, en avait à son bord plus de trois milliers de la
plus belle espèce, quand il fut assassiné par les sauvages
de Yiti.
M. Jacobs me remit une note du capitaine Rugg,
qui avait découvert un récif entre Manga-Reva et
Crescent. Je grimpai ensuite sur le morne du S. E .,
où les naturels ont planté leur nouveau pavillon, et
où les missionnaires ont établi leur cimetière. C’est
une espèce de carré entouré d’une haie vive avec des
arbres plantés de distance en distance. Le terrain
est bien déblayé et garni çà et là de jolis arbrisseaux.
Du sommet de ce morne, on a une vue superbe
du groupe de Manga-Reva; et en jetant les yeux sur
la Zélée mouillée presque à mes pieds, je vis qu’elle
se trouvait beaucoup trop près du récif de la côte,, et
qu’il fallait qu’elle changeât de place au plus tôt.
Redescendus dans la plaine, nous visitâmes l’ai-
guade qu’on nous avait indiquée, mais l’eau en est
peu abondante et fangeuse. Nous passâmes chez