moindre mot que nous leurs adressions et fuyaient au diable
dès que nous avancions de leur côté. Respectant fort leurs
scrupules, nous allâmes nous asseoir tranquillement sur un large
pavé, et tirant notre pain et notre fromage, nous les dévorâmes
en silence. Le papa sauvage était assis tout nu à côté de nous,
sa nombreuse troupe de petits enfants nous entourait, et à quelques
pas plus loin se tenaient sa femme et ses deux filles aînées.
Voulant rendre notre déjeûner un peu plus substantiel, nous
lui achetâmes des oeufs pour une vieille cravate. Mais le malheureux
! sur dix oeufs qu’il nous apporta, neuf étaient pleins, et
nous eûmes la douleur de voir rôtir nos misérables fétus.
Comme ce mets n’était pas savoureux pour nous, nous le lui
rendîmes. Alors, avec beaucoup de sang-froid, il jeta les petits et
avala le peu de jaune qui restait à la coquille. Cependant, désirant
manger à tout p r ix , nous lui achetâmes alors un poule ;
aussitôt le marché conclu, à un signal du papa , toute la famille
se mit en campagne pour attraper le malheureux oiseau qui
devait nous servir de pâture. Peu après, nous les vîmes arriver
nous apportant en triomphe un maigre poulet. Nous le donnâmes
aussitôt à un des enfants , q u i , pour une légère récompense, se
chargea de le faire cuire. Pendant qu’il s’acquittait de ces importantes
fonctions, noué parcourûmes les bois, où nous n’aperçûmes
rien de remarquable. De retour à notre feu , nous trouvâmes
notre poulet fort bien cuit. Mais la promenade ayant un
peu refroidi notre appétit, nous en mangeâmes fort peu et fîmes
des largesses avec le reste. Pendant notre fréquentation, nos
belles demoiselles s’étaient un peu familiarisés avec nos figures ;
cependant tout ce que nous pûmes obtenir de leur sauvagerie, fut
de leur faire accepter un morceau de poulet sur un morceau de
pain, et encore se cachèrent-elles derrière un arbre pour le
manger.
Les missionnaires doivent être fort contents des effets dé leurs
salutaires avis. Leurs principes ont parfaitement germé sur ces
tenes nouvelles. Je ne croîs pas qu’il existe un autre pays au
monde où les femmes soient si chastes qu’elles le sont devenues
dans ces îles, maintenant pleines d’élus.
ÇM. Duroch.)
N o t e 9 9 , p a g e 1 7 8 .
Après ces capitaines , parut le capitaine français Mauruc ,
commandant une goélette portant pavillon chilien. Craignant
d’être pris par les Péruviens, il jugea que le meilleur parti à
prendre était d’arborer les couleurs du roi Mapouteoa, auquel il
fit cadeau de deux drapeaux faits exprès. Ces drapeaux flottent
glorieusement dans les grandes circonstances, et plus heureux
que ceux de plusieurs autres nations , ils flottent sur l’arrière
d’un navire. Qui aurait jamais pensé qu’un petit chef sauvage
étendrait aussi loin sa protection ?
Le capitaine Mauruc, après une première apparition, revint,
il y a environ deux mois, au même mouillage pour continuer la
pêche des perles. Mais des circonstances particulières qui ne sont
pas bien connues, ont brouillé le capitaine avec les missionnaires.
Leur influence a empêché qu’on ne péchât pour M. Mauruc
d’où il est résulté des plaintes. Le fait paraît être, d’après les
discours de Guillou, qui était très-réservé sur ce sujet, que l’aide
donnée aux missionnaires Laval et Carret à Taïti par M. Moeren-
hout avait été la base d’un arrangement commercial en dehors des
affaires religieuses. M. Moerenhout est pêcheur de perles lui-
même ; et en évaluant autant que faire se peut les concurrences,
les missionnaires le.favorisent considérablement, en même temps
qu’ils éloignent de leur demeure les navires qui viennent montrer
à leurs élèves de mauvaises moeurs et de dangereux exemples.
Cet arrangement convient à tout le monde, excepté aux pécheurs
étrangers à l’affaire. M. Moerenhout y gagne un précieux mono