1” août.
après, l’île Crescent commence à paraître dans le
S. E., à huit ou dix milles de distance au plus.
A midi, nous avons pu vérifier que notre montre
nous plaçait près de quarante milles trop à l’ouest.
Comme le vent soufflait alors entre le S. 0. et
l’O. S. 0., il fallait courir des bordées pour gagner au
vent. Le soir, à six heures, nous étions parvenus à
trois lieues de la bande de l’est, et nous pouvions reconnaître
les cocotiers qui s’élevaient sur les îles basses,
jetées çà et là sur la ceinture de récifs. A cette
distance le mont Duff et les autres sommités des îles
hautes offraient une teinte jaunâtre, sèche et triste
qui ne me rappelait pas l’aspect habituel des riantes
îles de la Polynésie. Il est facile de voir qu’on est déjà
à la limite de la zone torride *.
Au point du jour, je vis que le courant m’avait reporté
à quatre ou six milles au plus de Crescent, et
je portais à peine sur le mont Duff. Ayant force de
voiles, nous commençions à être très-près des brisants
à neuf heures, quand nous vîmes une baleinière
sortant des récifs et se dirigeant évidemment sur
nous. Je diminuai de voiles pour l’attendre, et à dix
heures quinze minutes, elle nous accosta. Elle était
montée par trois Européens et cinq ou six naturels **.
Le premier de ces Européens s’avança vers nous et
me rappela qu’il m’avait quelques années auparavant
rencontré et entretenu dans une rue de Paris, comme
il se trouvait en compagnie de M. l’évêque de Nilopolis.
Son nom était Urbain de Fleury de la Tour; quoique
laïque, il s’était volontairement associé à la fortune
de M. Rochouse, pour venir partager les travaux des
missionnaires, et il s’était particulièrement dévoué à
l’instruction des naturels auxquels il enseignait à lire,
à écrire, quelques éléments de calcul et de géographie.
Lë brave homme était si heureux de revoir des
compatriotes, qu’il resta un moment sans pouvoir
toucher aux aliments qu’on lui offrit pour réparer ses
forces affaiblies, car il nous avoua qu’il n’avait encore
rien pris dé la journée, quoiqu’il fût à la mer depuis
le point du jour.
Les journaux avaient d’abord appris aux missionnaires
mon départ de France; et M. Rugg, arrivé depuis
trois jours à Gambier, leur avait annoncé notre
prochaine apparition. Le capitaine Rugg avait perdu
la veille son beau-frère, et cette raison seule l’avait
empêché de venir lui-même m’offrir ses services.
Les deux autres Européens étaient des Français,
l’un Normand, nommé Marión, l’autre Breton, nommé
Guillou, matelots de profession. Après avoir rôdé
dans les diverses îles de la Polynésie, après avoir habité
successivement Taïti, Tonga, Nouka-Hiva et les
Pomotou, ils avaient fini par s’établir aux îles Manga-
Reva, où ils s’étaient mariés sous les auspices de l’é-
vêque, et ils avaient tous deux des enfants. Ils eurent
bientôt fait des amis dans les hommes de l’équipage,
et en outre je leur fis fournir la ration du bord, pour
tout lp temps qu’ils resteraient sur l'Astrolabe.