trigues qui s’agitent dans les parois resserrées d’un navire,
tout aussi bien que sur une scène plus vaste. Il
parle avec respect de M. d’Entrecasteaux, comme
d’un chef digne, grave et honorable; il fait l’éloge de
M. Huon de Kermadec, et réhabilite la mémoire de
M. d’Auribeau, si cruellement ternie par certaines
personnes. Si ce journal eût été rendu public, il eût
certainement excité de violentes récriminations; et
il n’eût pas manqué de déplaire à bien des gens. Il
paraît que ce fut la raison qui empêcha M. Duportail
de le livrer à l’impression, comme quelques amis le lui
avaient conseillé ; il fut retenu par la crainte de nuire
à un de ses frères qui avait embrassé la marine militaire
, et auquel il eût pu susciter des ennemis.
Quant au père, ayant pris parti pour la cause
royale, il resta longtemps en Angleterre, ne revint en
France qu’en 1803, vécut loin du monde, et mourut
en 1812.
Cette lecture me fit faire de profondes réflexions,
qui finirent par me ramener sur ma propre position,
par un retour assez naturel. Comme M. d’Entrecasteaux,
j’avais encore à courir une bien longue carrière,
à affronter mille dangers, et ma constitution
vivement ébranlée par les secousses d’une maladie
cruelle, était loin de m’offrir une garantie contre tant
de chances. Je voyais avec douleur que des mécontents
commençaient déjà à se déclarer parmi mes
compagnons, dont les fâcheuses dispositions ne pourraient
manquer de s’aggraver par des privations plus
longues et des déceptions répétées. Si je venais un
jour à succomber, à qui serait dévolu le mandat de
publier nos opérations ? Ceux sur lesquels je croyais
toujours devoir compter ne pourraient-ils pas périr
eux-mêmes? Alors le soin d’écrire la campagne ne
tomberait-il pas entre des mains hostiles qui pourraient
calomnier mes intentions et défigurer les faits
au gré de leurs passions malveillantes? D’après ce
que j’ai ressenti en pareille circonstance, j’ai compris
que c’était là une des craintes les plus pénibles et le
souci le plus cruel d’un chef qui ne veut consulter
que les lois de l’honneur, sans écouter les vaines
clameurs ou les ridicules caprices d’officiers peu réfléchis.
M. Duportail vint m’arracher tout à coup à mes
sombres pensées pour me conduire à table. Nous
causâmes paisiblement de divers sujets et surtout de
la révolution de 1830 et du gouvernement qui lui a
succédé. Il me fut facile de voir que ces Messieurs
étaient éminemment conservateurs, ils redoutaient
jusqu’à l’ombre du moindre progrès, et le mot mouvement
seul les faisait trembler. Après le dîner, le
commandant Duhaut-Cilly, qui a épousé une parente
de M. Duportail, arriva et je ne tardai pas à prendre
congé de mes hôtes; ils voulaient me conduire en
soirée, mais j’avais donné rendez-vous à bord au capitaine
Jacquinot; ils se contentèrent donc de
m’accompagner jusqu’au pont d’embarquement, et
je pris congé d’eux , très-satisfait de leurs procédés.
Je trouvai à bord M. Jacquinot qui m’y attendait
depuis quelques temps. Après avoir reçu mes instruc