recueillies mais encore barbares, tout cet ensemble me fit éprouver
une vive émotion ! Il y avait là une majesté divine qui nous
couvrait de ses ailes tutélaires ; cette cérémonie si modeste devenait
sublime. Ces voix calmes , la simplicité de leurs accents,
annonçaient la candeur de ces âmes qui s’exhalaient en prières.
Derrière cette foule prosternée, nos braves matelots et les guerriers
de Manga-Reva en armes et en ordre de bataille formaient
l’enceinte de ce temple improvisé.
C’est un beau spectacle à contempler que ces hommes, naguère
si dénués d’idées sociales et si fortement esclaves de leurs instincts
, aujourd’hui -pénétrés du sentiment de la dignité de
l’homme et appréciant le noble enseignement de la morale, qui
les élève à leurs propres yeux. MM. les missionnaires français
ont réalisé en trois années, dans l’obscurité, dans le silence, sans
appui, en un mot, sans ostentation philanthropique, ce que tous
les rêveurs du siècle n’ont pu encore accomplir, malgré leurs
nombreuses et très-spéculatives théories , ils ont créé une société
réellement libérale, parce que Dieu en est le législateur; une
société réellement durable (tant que le vice h’y pénétrera point
avec l’étranger], parce qu’elle restera sans misère. Us ont réussi,
parce qu’ils ne sont pas imposteurs, et qu’ils prêchent la veitu
par l'exemple et non avec des paroles seulement ; ils ne sont pas
imposteurs, parce qu’ils n’ont en vue que l’élévation de l’homme
par rapport à Dieu et non celle de l’homme par rapport aux
autres hommes; aussi, sont-ils les seuls pauvres de leur troupeau
, ce qui est une grande garantie en faveur de la durée de
leur succès, car la misère flétrit le peuple, aiguillonne ses besoins,
et développe chez lui les passions les plus basses. S’il faut en
croire le bruit public, nous serons bientôt à même d’obsefver
dans l’Océanie les tristes résultats de ces religieux qui permettent
de jo u ir , aux dépens des adeptes, du bien-être temporel qui
résulte des progrès d’une espèce de propagande. S’il en est ainsi,
ces apôtres doivent être les seuls riches et leurs ouailles les seuls
pauvres. Que devons-nous attendre de cet état de choses? il est
fâcheux de l’avouer, la richesse, dans la position de ces missionnaires,
donne le pouvoir, ce dernier éloigne la persuasion, amène
la méfiance, l’hypocrisie, parce que l’on craint de résister à un
puissant aux vertus duquel on ne croit plus, du moment qu’on
le craint.
(M . Hombron.')
N o t e 1 2 2 , p a g e i g 5.
Si les missionnaires ont apporté ce changement avantageux
dans la moralité du pays, ils ont par contre-coup enlevé à ces
peuples leur caractère primitif : ayant proscrit le tatouage et prêché
l’usage du vêtement, les naturels abandonnent chaque jour le
manteau de papyrus, et se couvrent de vêtements européens sales
et en lambeaux. Les femmes qui autrefois devaient étaler leurs
charmes à tous les yeux, sont renfermées dans de grandes camisoles
qui les serrent au cou et retombent jusques sur leurs pieds.
Ainsi, chaque chose présente toujours son bon et son mauvais
côté.
Est-il préférable pour le bonheur de ces peuples de leur apporter
de nouveaux vêtements et par suite de nouveaux besoins?
La décence et la morale ne pourrait-elle exister sans qu’une
femme soit couverte des pieds à la tête, et qu’un homme soit enveloppé
de haillons. L’allure libre et fière du Manga-Revien
combattant Beechey n’est-elle pas plus heureuse que celle du
Manga-Revien renfermé disgracieusemnet dans un pantalon qui
lui vient au mollet et une chemise sale et déchirée? La loi chrétienne
n’est-elle pas assez large pour se plier aux différences de
climat et de position, et pour laisser à chaque peuple son caractère
distinctif?
Telles sont les questions que l’aspect de ces peuples font naître
et que chacun décide selon ses idées.
(A/. Coupvenl.')