quitté leur patrie pour travailler à la conversion des
peuples de l’Océanie, MM. Laval et Carret, amenés
des rives de l’Amérique sur un navire anglais, abordèrent
aux îles Gambier ou Manga-Reva, et nonobstant
la réputation des habitants, ils se proposèrent
d’y commencer leur oeuvre de dévouement. Le canot
qui les portait tenta vainement d’aborder sur l'île-
Aka-Marou, à cause des récifs qui la défendaient. Le
hasard seul les dirigea sur l’île voisine d’Ao-Kena.
Les habitants les reçurent froidement, mais ils n’en
essuyèrent point de mauvais traitements. Les nouvelles
doctrines que prêchaient les prêtres ne produisaient
qu’un étonnement stérile sur les insulaires
qui pouvaient à peine les comprendre, tant elles
faisaient disparate avec leur moeurs, leurs habitudes
et leurs croyances.
Cependant les hommes du peuple et surtout les
femmes prêtèrent peu à peu plus favorablement l’oreille
à des dogmes qui rapprochaient toutes les conditions
et tendaient à abolir des prohibitions sévères et
injurieuses. En outre on voyait des hommes désarmés
et inoffensifs attaquer de front les dieux du pays sans
qu ils en fussent foudroyés, sans même qu’il leur arrivât
aucun mal; enfin mettant utilement à profit certaines
notions médicales, ils eurent le bonheur de
guérir quelques malades. Cette dernière considération
acheva de désarmer tout-à-fait la colère des naturels.
Ceux-ci en vinrent à offrir spontanément à leurs
hôtes des vivres et une cabane, puis iis les traitèrent
avec amitié et respect, enfin ils se laissèrent baptiser ;
et la majeure partie d’Ao-Kena fut bientôt chrétienne.
Encouragés par un succès aussi inespéré, les apôtres
entreprirent d’aller convertir les habitants des
autres îles. Manga-Reva étant la plus grande, la plus
peuplée, et de plus la résidence du chef dont le groupe
entier reconnaissait les lois et la souveraineté ; c était
un point de la plus haute importance pour la réussite
de leurs projets. Les missionnaires s’y rendirent
sur une frêle embarcation; mais a peine y furent-
ils débarqués que le peuple excité par quelques fanatiques
les rèçut à coups de pierres. Non content de
cet outrage, on voulut les exterminer. Poursuivis et
traqués, les dignes missionnaires qui étaient préparés
au martyre, si telle était la volonté du ciel, jugèrent
cependant avec raison qu’il serait plus utile pour
le succès de leur cause de chercher à sauver leur vie.
Dans leur fuite ils purent gagner les hautes graminées
qui couvrent les flancs du mont Duff, et ils
y trouvèrent un abri protecteur contre les poursuites
de leurs persécuteurs. Ceux-ci, dans la rage qui les
animait, mirent le feu aux roseaux, dans l’espoir que
les blancs ne pourraient pas échapper à ses atteintes.
Mais le vent, tout en excitant l’incendie, suscita aussi
des tourbillons d’une fumée épaisse qui déroba les
fugitifs à la vue des sauvages; grâce à cette circonstance
favorable, ils purent s’élever dans la montagne,
et vers deux heures du matin ils parvinrent au
sommet.