que l’habile écrivain, dans cette occasion, montra que
les qualités du coeur sont quelquefois loin de répondre
aux ressources de l’esprit. En arrivant dans sa patrie,
le pauvre marin se trouva sans ressource, et sur le
conseil qu’on lui donna, il alla présenter son manuscrit
à Daniel de Foë, dont le nom commençait à se
faire connaître; le jeune écrivain garda quelque
temps la relation de Selkirk, et quand celui-ci revint
lui en demander des nouvelles, il la lui rendit en
lui déclarant froidement qu’il n’avait pu en tirer
aucun parti. Peu de temps après, Daniel de Foë publia
son roman qui eut un succès prodigieux et lui procura
beaucoup d’argent dont il ne donna pas un schelling
au pauvre Selkirk.
Celui-ci publia aussi son manuscrit qui ne lui rapporta
presque rien ; c’était pourtant le récit d’aventures
réelles, tandis que l’oeuvre de de Foë n’est qu’un
tissu de fables ; mais de fables qui sauront toujours
charmer le lecteur.
Après le dîner, on distribua aux hommes qui en
avaient besoin des effets de rechange. On a procédé
aussi à la vente des effets des déserteurs. Là pour la
vingtième fois j’ai remarqué que nos matelots étourdis
et imprévoyants auraient poussé ces objets à des
prix exorbitants, si je n’avais eu soin de les faire
arrêter une fois parvenus à des taux raisonnables.
Tel est le matelot ; pour satisfaire un caprice du
moment, il serait capable de sacrifier toute la solde
qu’il a péniblement acquise, oubliant d’ailleurs qu’il
lui faudra un jour sur son décompte payer cet argent.
Sur nos navires, il est vrai, le retour paraissait si Wg
chanceux à plusieurs de nos matelots, qu’ils ne s’occupaient
plus que du moment présent. Du reste, je
les vis avec bien du plaisir gais et contents , renouveler
avec joie leurs nippes pour la nouvelle campagne
qu’ils entreprenaient.
J’avais l’intention d’aller reconnaître aussi l’île
Mas-a-Fuero; mais les vents restèrent si opiniâtres de
Ja partie de l’ouest, qu’au bout de trois jours de vains
efforts, j’y renonçai et mis le cap au nord pour aller
prendre connaissance des îles Ambroise et Félix*.
Durant les journées qui suivirent, les vents se maintinrent
à la partie de l’ouest, faibles et variables le
plus souvent : tout ce que je pus faire fut donc de piquer
au nord; si bien que le 12, à midi, notre posi- 12.
tion était de 26° lat. S. et 80° 40' long. 0.
Ce jour aussi les vents passèrent enfin à la partie
du S. E., et nous pûmes gouverner sur les îles Ambroise
et Félix, dont la vraie situationfn’était pas encore
bien arrêtée, puisque M. Daussy n’avait pas jugé
à propos de les porter sur sa liste de positions.
Le jour suivant, au matin, nous aperçûmes Am- 13-
broise à quinze ou vingt milles dans le S. 0., ce qui
me prouva que depuis la veille nous devions avoir
subi un courant assez fort dans le nord. A onze
heures et demie, nous passâmes à six ou sept milles
au nord de cette petite île de forme arrondie, aride,