la remerciai en souriant, mais l’intention y était.
Comme j’arrivais au bord de la falaise, d’où l’on a
la vue de toute la baie, j’aperçus louvoyant à l’entrée,
un gros navire qui me fit soupçonner l’arrivée de la
Vénus. J’eus un instant de joie en songeant que
M. Dupetit-Thouars, son capitaine, venait, en bon camarade,
m’offrir son assistance. Nous étions, il est
vrai, déjà débarrassés de nos plus rudes travaux, mais
l’aide de ISO hommes nous eût été bien utile durant
huit ou dix jours, et j’aurais pu épargner la force de
nos matelots si rudement mise à l’épreuve. J’aurais été
surtout bien sensible à une pareille démarche. Je fus
bientôt désabusé ; arrivé au bord de la plage, j’avais
reconnu que ce navire ne pouvait être une frégate,
et à bord, j’appris que c’était la corvette chilienne
Monte-Agudo, qui venait à Talcahuano prendre un
détachement de soldats pour renforcer l’armée destinée
à combattre les Péruviens.
Du reste, ce navire m’apportait deux lettres de
MM. Cazotte et Duhaut-Cilly, capitaine de vaisseau,
commandant la corvette Y Ariane. M. Cazotte me promettait
de rendre au Président le cuivre que j’avais
emprunté. M. Duhaut-Cilly m’instruisait de son retour
de Lima à Yalparaiso, du départ de M. de Villeneuve
pour le premier port, et je crois aussi du prochain
départ de M. Dupetit-Thouars pour continuer son
voyage. Aucun d’eux ne paraissait avoir songé à nos
deux pauvres corvettes. Au reste, nous apprîmes tous
avec plaisir par cette occasion que M. Hombron, chirurgien
major de X Astrolabe, avait été élevé au grade
de chirurgien de marine de première classe, peu de
temps après notre départ de Toulon *.
Aujourd’hui, nous avons à porter au nombre de
nos déserteurs l’armurier Moser, Suisse d’origine. Il
paraît que cette espèce de vagabond n’avait demandé
à faire la campagne que dans l’intention de nous quitter
au premier endroit. Il est vraiment déplorable que,
pour un voyage aussi important, le port de Toulon
n’ait pas eu de meilleur sujet à nous procurèr pour
des fonctions aussi utiles. M. Bardel m’avait promis
d’abord que les déserteurs n’échapperaient point aux
recherches de la police du pays; mais l’expérience
m’a appris à ne pas compter sur ces belles promesses;
et j’ai tout lieu de croire, au contraire, que la police
serait plutôt disposée à favoriser les coupables qu’à
leur donner la chasse. Aussi tout capitaine qui n’aura
à remplir qu’un service purement militaire, fera-t-il
sagement d’être très-réservé à l’égard des hommes
qu’il enverra en permission à terre. Dans ma position,
c’étaient là des mesures impraticables; je ne pouvais
compter que sur des hommes de bonne volonté, et les
consigner à bord, c’eût été les pousser tous à l’ennui,
au découragement et au dégoût de leur campagne **.
Tous les scorbutiques de XAstrolabe avaient successivement
rallié le bord, et les derniers rentraient
dans la journée. Il ne reste à l’hôpital qu’une douzaine
d’hommes de la Zélée, avec le maître calfat Aude et
29.
* Note a4 -
** Note a5 . ü