complètement dupes, et reçurent comme argent
comptant tous les compliments qui leur furent débités*.
En rentrant à bord de Y Astrolabe, je trouvai
M. Bardel, notre vice-consul, qui m’y attendait. Il
m’offrit ses services et se remit très-obligeamment à
ma disposition pour toutes les démarches qui pourraient
être utiles à l’expédition. En sa qualité de Français
établi depuis fort longtemps dans les colonies
espagnoles de l’Amérique du sud, il était instruit des
affaires de ce pays, et voulut bien en quelques mots
me mettre au courant des événements. Voici ce que
j’appris.
En ce moment une guerre opiniâtre régnait entre
les états du Pérou et du Chili, et on lui assignait pour
origine la raison suivante. Par suite d’une de ces révolutions
si fréquentes dans cette partie du monde, le
général Freyre, déchu de la présidence qu’il avait
longtemps occupée au Chili, avait été obligé de se
retirer à Lima. Santa—Cruz, pour lors gouverneur du
haut et bas Pérou, prenant fait et cause pour Freyre,
avait aidé de deux navires de guerre une entreprise
tentée par ce général pour surprendre le Chili ; non
seulement 1 expédition avait échoué, mais Freyre avait
été fait prisonnier, jugé et condamné à l’exil ; on le
croyait alors réfugié à la Nouvelle-Hollande.
La première cause de cette guerre déplorable entre
les deux républiques, se trouvant ainsi écartée,
on avait espéré d’abord que la paix serait bientôt rétablie.
Mais par suite d’un amour-propre déplacé de
la part des Chiliens, ou plutôt par les calculs funestes
de certains hommes intéressés à maintenir l’état de
guerre, les hostilités continuaient. Deux mois avant
notre arrivée, à la suite d’un engagement désastreux
pour la cause chilienne, le général s’était laissé
surprendre par les Péruviens dans une position si
fâcheuse, qu’il n’avait pu s’en tirer qu’en signant une
capitulation peu glorieuse. Furieux de cet échec , le
gouvernement de Sant-Yago avait refusé sa ratification
et s’occupait avec ardeur, en ce moment même,
de la formation d’une nouvelle armée pour recommencer
à nouveaux frais. Le gouverneur actuel,
nommé Priéto, avait la réputation d’un homme doux
et probe, mais faible et sans caractère ; et Garrido,
gouverneur de Valparaiso, personnage actif, intrigant,
fin et dissimulé, passait pour conduire tous les fils
de la machine gouvernementale. Du reste, tous les
honnêtes gens s’accordaient à blâmer la guerre désastreuse
qui ruinait les deux pays : aussi ridicule
dans s es motifs que stérile dans ses résultats, elle n’avait
d’autre but ostensible que de dissiper les faibles
ressources des deux états ; et l’on calculait avec douleur
que le Chili avait déjà englouti dans cette lutte
funeste près de 30 millions de francs, somme énorme
qu’il eût pu employer si fructueusement au profit
de ses intérêts agricoles aussi bien que de son industrie
et de ses manufactures réduites à l’état le plus déplorable.