la côte. A midi, nous en étions encore à environ six milles. V Astrolabe
mit alors un canot à la mer : on en fit autant à bord de la
Zélée. Je fus assez heureux pour faire partie de cette petite expédition.
Après avoir pris les ordres du commandant d’Urvilie,
nous nous dirigeâmes sur l’île.
Nous ne mîmes pied à terre qu’à deux heures et demie. Comme
nous avions peu de temps à rester, chacun se mit à vaquer à ses
occupations. Pour moi, je parcourus la plage ; elle est composée
de gros galets volcaniques, et par conséquent fort pauvre en
mollusques. Je n’y trouvai que deux espèces de Trochus que j ’avais
déjà rencontrées au Chili, une belle espèce nouvelle de patelle
et une petite litiomie. Des crustacés du genre Grapse couvraient
les rochers.
Je parcourus ensuite les environs, je recueillis sous les pierres
deux ou trois petites espèces de carabiques , et je tuai deux
oiseaux, l’un était un oiseau-mouche (Otiorynchus sephanioides)
que nous avons trouvé à Concepcion, et l’autre une bécassine
aussi du Chili. J’apercus aussi une chouette, qui me parut être
la chouette à clapier.
En somme, les productions de cette île me parurent être tout-
à-fait analogues à celles de la côte du Chili. Les roches qui forment
sa charpente sont entièrement volcaniques. Une multitude
de petits ruisseaux descendent bruyamment des montagnes, et
viennent filtrer à travers les galets de la plage. L’eau en est fort
bonne.
Les environs du rivage où la pluie a rassemblé plus de terre
végétale, sont fertiles, et presque entièrement couverts de tiges
vigoureuses d’une espèce de gros radis rouges.
Cette île servait, il n’y a pas fort longtemps, de lieu de déportation
au Chili, qui y envoyait de temps à autre quelques criminels ;
mais ce nouveau Botany-Bay était trop près de la mère-pairie.
Plusieurs fois les déportés parvinrent à s’échapper. Ils s’emparèrent
un jour par surprise d’un bâtiment baleinier américain,
massacrèrent l ’équipage et se sauvèrent. Une autre fois une corvette
de guerre péruvienne ( le Chili étant alors en guei’re avec le
Pérou) vint mouiller à Juan-Fernandez, embarqua tous les déportés,
et vint les débarquer sur la côte du Chili.
Gn trouve encore des vestiges de cette habitation passagère.
Quelques endroits sont régulièrement pavés de petits cailloux
arrondis. On voit un petit fort en terre, et ça et là quelques pans
de murailles, quelques arbres fruitiers étendant leurs rameaux
rabougris. Quelques vieux canons en fonte, rongés par la rouille,
sont à moitié enfouis près du rivage. Un peu à droite de là baie,
on a creusé dans une roche plus tendre plusieurs cavernes spacieuses.
Elles sont placées au milieu d'une colline , de sorte
qu’elles dominent toute la baie. Je montai pour les visiter. En
m’approchant de l’une d!elles, cinq ou six grands chiens jaunes se
précipitèrent autour de moi en aboyant. Un homme sortit aussitôt
de la caverne; d’un mot il fit taire ses chiens et s’avança vers
moi en me saluant. C’était un vieillard, mais fort et vigoureux
malgré son âge ; ses longs cheveux blancs descendaient autour
de son cou nu et hâlé , son visage respirait le calme et la franchisé;
il me rappela le vieux trappeur de Cooper. Il n’avait pour
tout vêtement qu’une chemise et un pantalon de toile ; il nous fit
avec cordialité les honneurs de la grotte.
C’était bien la plus pittoresque demeure qu’on put s’imaginer,
spacieuse et haute, elle s’arrondissait en voûte. Le sol en était
d’une extrême propreté. A droite des paquets de peaux dé chèvres
et quelques guirlandes de tranches jaunes de poisson fumé tapissaient
la muraille; derrière deux tonneaux, se tr o u v a it l a modeste
couchette du solitaire, à côté un vieux fusil au loug canon,
au-dessus une gibecière en peau de phoque et une grosse corne
de boeuf.
A gauche, c’était d’abord le foyer, fait contre quelques pierres.
Devant, s’étendait un gros chien de chasse aux longues oreilles
pendantes, le favori du maître de la maison : il était voluptueu-
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