entre le capitaine de pêche et le capitaine de route,
dont Privât n’a que les fonctions. Le capitaine de
pêche, qui n’est qu’un matelot dégrossi, cherche tous
les moyens possibles de contrarier son chef, et excite
sourdement les matelots contre lui. Sans doute, ce
partage de l’autorité peut être un malheur inévitable,
attendu que peu de capitaines au long-cours possèdent
toute l’expérience convenable pour la pêche de
la baleine ; mais il est vivement à désirer que cet état
de choses cesse complètement pour le bien public *.
Au reste, j’ai promis à M. Privât toute ma protection
pour rétablir son autorité méprisée, et je l’ai fortement
engagé lui-même à montrer plus de caractère et
de fermeté vis-à-vis de ses mutins.
Vers cinq heures, après avoir rendu visite à M. Cuningham,
M. Jacquinot et moi, nous nous rendîmes
chez M. Delano, qui nous avait invités à dîner. Il nous
donna un repas somptueux, mais suivant la manière
anglaise, bien plus copieux que délicat, et en outre,
dans le goût espagnol, composé de niets si épicés,
qu’à peine en trouvions-nous quelques-uns qui pussent
nous convenir. Cette manie des festins épicés
est, à mon avis, un rude fléau pour l’étranger obligé
de manger hors de chez lui**.
Comme je me trouvais placé près de M. Cuningham,
je lui adressai fréquemment la parole, et j’en
obtins encore quelques nouveaux renseignements qui
* Notes i8, 1 9 et 20.
** Note 21.
pouvaient m’être fort utiles au moment où j’allais me
lancer dans les îles de l’Océanie.
J’appris aussi qu’un Français, nommé Mauruc, faisait
fréquemment avec une petite goélette le voyage
deValparaiso aux îles Pomotou ou à Taïti, exploitant
fructueusement le trafic des perles, de l’écaille et de
la nacre, et en même temps le cabotage entre les
îles de la Société et les côtes du Chili pour le compte
des missionnaires ou autres Européens qui pouvaient
l’employer.
Un autre Français, nommé Bureau, avait exploité
plus en grand et d’une manière profitable ce même
trafic, en poussant ses opérations plus loin à l’ouest;
mais il avait été massacré par les habitants de l’archipel
Yiti, près de l’île Pao. Deux hommes seulement
avaient réussi à échapper au carnage et en
avaient apporté la nouvelle. Je voulus questionner
M. Bardel à ce sujet, mais il me renvoya par-devant
M. Cazotte àYalparaiso, qui me donnerait des renseignements
plus détaillés.
Des missionnaires français et catholiques, ayant un
évêque à leur tête, avaient paru deux ou trois ans
auparavant à Yalparaiso. De là, ils avaient passé successivement
à Taïti et à Hawaii ; mais après avoir
tenté inutilement de s’y établir, ils avaient dû se
diriger vers l’île Ascension dans les Carolines. Ce
nom m’était inconnu; mais comme on m’assurait
une île haute dans l’est de l’archipel, je présumai que
ce devait être l’île Ualan ou Pounipet.
M. Delano ajouta qu’en ce moment même il croyait