route, exécutée à main d’hommes , et qui conduit à un grand
plateau de terrain uni sous le mont Duff ; de là nous nous rendons
à l’aiguade où se trouvent les embarcations. Ce chemin,
large et uni, s’élève sur une pente rapide jusqu’au cimetière,
placé sur la hauteur. Des arbres ont été laissés au milieu de
cette route , probablement pour ne pas le priver tout-à-fait
d’ombre. Cet ouvrage a été le fruit du travail de peu de temps, et
si les missionnaires voulaient le faire étendre sur tout le tour de
l’île, ce serait un beau monument de leur persévérance. Mais
dans les circonstances présentes, il paraît n’avoir été créé que
pour faciliter les cérémonies religieuses dans la plaine et les enterrements.
En passant devant le modeste enclos du cimetière,
notre guide se découvrit gravement, en murmurant une prière
en latin, et quoique nous eussions ôté nos casquettes à son imitation,
il ne voulut pas nous conduire dans l’enceinte; il paraissait
même impatient de quitter ces lieux. Cela me surprit, car d’habitude
ils sont très - complaisants , et c’est peut-être la seule
fois qu’un naturel s’est refusé à nos désirs. Après le cimetière se
trouventdes sentiers étroits qui conduisent au travers des champs
cultivés vers le mouillage des corvettes. Dans un de ces champs
se trouvaient une trentaine de femmes creusant la terre avec de
simples morceaux de bois. A côté de cet emplacement, se trouvaient
des plantations de patates douce;, des choux, des carottes,
mais en petite quantité. Plus loin, on voyait d’assez belles cannes
à sucre. A la fin de ce grand plateau , dominant le rivage à une
grande hauteur, et dominé à son tour par le mont Duff qui
dans ce' moment lé couvrait de son ombre, se trouve une grande
case. Là, les naturels paraissaient plus défiants, à notre approche
les femmes se cachèrent, et un des hommes prit une lance qu’il
posa contre le toit de sa cabane. Peut-être avait-il. envie de
l’échanger ; quoi qu’il en soit, nous avons passé outre sans nous
arrêter; un seul répondit à notre bonjour. Dans les autres plus
éloignés, ils n’avaient pas cette méfiance de nous. Au contraire,
ils venaient au-devant de nous et nous offraient souvent des cocos
ou du fruit à pain cuit.
Sur le rivage, un grand nombre de naturels entouraient nos
matelots, occupés à faire de l’eau. L’aiguade ne fournissait que
peu d’eau et on ne pouvait l’embarquer à bord de la chaloupe,
mouillée à une certaine distance, qu’avec le petit bateau, qui
faisait constamment les voyages à la chaloupe et de là au rivage
avec des barils de galère qu’on vidait dans les grandes pièces. Ce
travail était très-fatigant, mais les énormes lames brisant sur
toute la côte, empêchaient d’aborder sur un autre point qu’auprès
des bas-fonds et des rochers qui défendent cet endroit.
A mer basse même^ le youyou ne pouvait plus franchir certains
coraux qui barraient la route; il fallait alors aller rejoindre la chaloupe,
en se jetant à l’eau jusqu’à mi-cuisse et en marchant sur les
coraux qui bordent la plage. La mer haute n’arriva qu’à la nuit ;
il fallut alors dans l’obscurité tâcher de regagner les embarcations.
L’agitation de la mer rendait cette marche scabreuse, lorsque
tout à coup les naturels ôtant leurs vêtements pour ne pas
les mouiller, amassant des roseaux secs dont ils font des torches,
et s’échelonnant dans l’eau, éclairent notre route.C’était un spectacle
pittoresque. Ces hommes presque nus et presque noirs
contrastaient avec la flamme brillante des torches qu’ils portaient.
Nos matelots s’acheminant au milieu des brisants, non
loin de grandes nappes d’écume, présentaient un aspect non
moins extraordinaire. Dans un coin du tableau, un sauvage, aux
muscles vigoureux, éclairait, dans une pose presque académique,
le groupe le plus avancé. Au milieu des vacillations de la flamme,
on apercevait la chaloupe soulevée par la mer, tandis que plus
près,des matelots,charriant divers objets,étaient éclairés en rouge.
Des teintes extraordinaires donnaient à leurs traits des.expressions
fantastiqués. On aurait pu se croire au milieu d’une scène
diabolique en voyant l’agitation des hommes, la bizarre et sombre
lumière qui les guidait, les naturels tendant en avant leurs