Dans l’après-midi, le courant et les folles brises nous rapprochaient
de la côte nord d’Hiva-Hoa. Deux nouvelles pirogues
chargées d’insulaires, se dirigeaient vers nos corvettes, l’une
d’elles amenée par des jeunes gens de 16 à 18 ans, l’autre par des
hommes faits. L’un de ces derniers, se donnant des airs de chef,
monta lestement à bord, et demanda à parler au commandant auquel
il fut présenté. Le vieux Moe salua avec aisance en mauvais
anglais. Il a , dit-il, appris cette langue en courant le monde
sur un baleinier qui l’a conduit à Gouaham et même à Londres;
il vante la beauté de son île, et s’offre pour piloter les navires
dans de bons mouillages ; il a la parole insinuante, le geste pats-
lin ; c’est un sauvage de bon ton. C’est avec une voix flûtée qu’il
demande du tabac, du rhum et de la poudre dont ilabesoin pour
combattre ses ennemis de Tao-Wati. Il nous donne un échantillon
de sa prestesse dans ses marchés, en vendant ses pendants
d’oreille pour un rasoir, puis demandant un rasoir pour chaque
pendant, puis le cuir à repasser et du tabac. Moe a vu passer il
y a un mois, un grand navire qu’il dit français, mais comme il ne
paraît pas encore bien connaître notre pavillon, nous ne pouvons
compter que ce navire soit la frégate la Vinus qui doit venir porter
des missionnaires dans cet archipel. L’insulaire d’ailleurs n’a
aucune connaissance de l’arrivée des missionnaires. 11 certifie
que ses compatriotes ne sont plus anthropophages depuis longtemps.
Moe dont la prestesse pouvait nous être utile à Nonka-
Hiva, a refusé de nous y accompagner, parce que le commandant
-n’a pu s’engager à le rapporter dans son île. 11 part après nous
.avoir fait un salut des plus gracieux, et descend dans sa pirogue,
-ayant pour butin une médaille de cuivre, un rasoir et un peu de
-tabac. La vue de Ces insulaires a confirmé mes primitives observations
sur les habitants des Marquises , qui paraissent appartenir
à une fort belle race. L’un de ces sauvages, d’une taille élevée
et bien proportionnée, avait une figure qui, malgré les bandes de
tatouage dont elle était sillonnée, eût été jugée belle, même dans
le type européen ; l’un des jeunes gens qui montaient la seconde
pix-ogue, était d’une beauté remarquable. Ceux-ci sont noircis
par le tatouage, leur peau est d’un brun rougeâtre cuivré ; deux
bandes de tatouage descendant des épaules vers le sein , ressemblent
à des bretelles ; quelques chevrons tracés sur les reins, les
côtes et les cuisses, des bandes traversant le visage à la hauteur du
front, des yeux ou de la bouche, quelques filets traces en arabesques
sur le nez et le menton, tiennent lieu à ces sauvages de
tous vêtements.
(M. Roquemaurel.y
N o t e 1 2 6 , p a g e 233.
Nous allions atteindre la pointe la plus nord de cette île d’Hiva-
Hoa, lorsque le calme plat nous surprit tout a coup. Nous
étions tombés dans une ligne de courants qui ne nous permettaient
pas de gouverner. Cette nouvelle circonstance nous valut
une des scènes les plus amusantes de notre navigation.
Deux pirogues qui s’étaient détachées du rivage à notre approche
. venaient d’accoster les corvettes ; un des insulaires monta
immédiatement à bord, en débitant a droite et a gauche des bonjour
dans toutes les langues. N ’ayant jamais vu probablement nos
couleurs nationales, il ne savait pas que nous étions Français. Au
reste, notre langue ne lui était pas familière.
Avec la gravité d’un Figaro , et en distribuant des sourires et
des poignées de main à tout le monde, il se dirigea avec aplomb
vers le commandant auquel il fit maintes salutations amicales.
Pour répondre à ses politesses on lui adressa quelques mots du
dialecte taïtien ; mais avec un air de supériorité vraiment comique
et un mouvement d’épaules qui paraissait vouloir dire : « Mais
pour qui me prenez-vous? » Il se mit à répondre en anglais , en
espagnol, avec une volubilité remarquable et une facilité de prononciation
qui m’étonna.