saurions plus ranger dans la catégorie des sauvages,depuis qu'ils
sont devenus nos co-religionnaires et qu’ils ont appris à respecter
et chérir le nom français, l’un d’eux, dis-je, a poussé la complaisance
jusqu’à permettre qu’on prît un moule de sa tête. Un mouchoir
a été la récompense de ce dévouement à la science, La ration
des matelots fut distribuée aux naturels qui parurent l’estimer
autant que leur nourriture ordinaire qui est presque exclusivement
végétale. Ces bons insulaires dans la première ferveur de
leur conversion, ne manquaient pas de faire un signe de croix
avant de porter un morceau à la bouche. Mais, n’ayant vu observer
à bord aucune pratique religieuse, ils doutaient sans dou te
que nous appartenions à la même famille qui leur avait donné
leurs missionnaires. On nous demanda plusieurs fois si- nous
étions chrétiens, et une réponse affirmative faisait grand plaisir
à nos amis basanés qui nous disaient aussitôt qu’eux aussi étaient
chrétiens ; et ils nous montraient quelques médaillons ou amulettes
suspendus à leur cou, ou débitaient en latin très-défiguré
leurs patenôtres. Les matelots Guillou et Marion, ces vieux forbans
avaient eux-mêmes pris un air assez décent et un langage
moins impur que celui qu’on trouve dans le vocabulaire des
marins. Ils àvaient sans doute cru que ce vernis de dévotion pourrait
les rendre agréables à Monseigneur. Mariés dans les formes à
deux filles du pays, nos écumeurs de mer devenus honnêtes comme
le chat de La Fontaine, menaient une vie rangée et même chrétienne,
en attendant que par leur trafic avec les naturels, ils
aient acquis un lot de perles assez riche, pour leur permettre de
jeter le froc aux orties, et d’abandonner leur nouvelle famille,!
pour aller sur d’autres rivages propager la race française.
{M. Roquemaurel.)
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J’avais eu le quart de huit heures à midi, j ’étais donc de corvée
et je reçus en conséquence l’ordre de m’embarquer dans le grand
canot pour le conduire à l’île d’Ao-Kena. A trois heures et demie,
je quittai le bord, et après une heure au milieu des récifs et des
brisants dont la rade est hérissée, je ne tardai pas à voir se dérouler
devant moi un charmant îlot dont la verdure éblouissante
faisait plaisir à voir. Quoique plus petite que Manga-Reva, Ao-
Kena me parut préférable à l’île qu’avait choisie le roi de Gam-
bier. On avait déjà remarqué notre canot et on s’attendait sans
doute à notre visite, car un bon nombre de naturels était déjà
groupé sur le rivage pour assister à notre descente. L’arrivée des
deux bâtiments de guerre français dans ces îles, était un véritable
événement pour ces peuplades. Quelques rares pêcheurs de pei les
y avaient bien atterri à diverses époques; mais depuis 1826,
c’est-à-dire, depuis le départ de M. Beechey, aucun navigateur
n’y avait abordé. Quand je fus à une distance convenable de la
côte, je fis mouiller un grapin ; car malgré la sécurité que me
promettait une plage sablonneuse, la nier y roulait avec trop de
force pour ne prendre aucune précaution. Trente naturels se mirent
aussitôt à l’eau pour venir nous offrir leurs épaules afin de
nous déposer sur le sable ; ces bonnes gens y mettaient tant d’obligeance
qu’il y aurait eu conscience à les refuser. Dès que nous
fûmes tous à terre, je me dirigeai vers l’habitation épiscopale, et
nous marchâmes tous entourés, par une foule assez nombreuse
d’hommes et d’enfants qui nous manifestaient leur joie de voir
des Français en nous criant à chaque instant, « bonjour moussi. »
Ils m’offraient tous leurs mains avec confiance et se faisaient un
plaiéir de m’indiquer le chemin pour me rendre chez le pasteur
de ces nouveaux chrétiens.
Je ne tardai pas à distinguer au milieu d’une touffe de verdure