1838. noeuvre. Ensuite les deux corvettes louvoyèrent pour
se maintenir à petite distance de terre. M. Jacquinot
courut de longues bordées, sans doute afin d’éviter
de manoeuvrer aussi souvent ; pour moi, je les rendis
beaucoup plus courtes dans l’espoir d’éviter les variations
du vent. Il en résulta qu’à quatre heures je n’étais
qu’à deux milles de la baie, tandis que la Zélée en était
encore distante de quatre milles. Une heure après, je
fis hisser le pavillon national qui était le signal de ralliement
convenu. Notre canot rejoignit à sept heures,
et celui de la Zélée à sept heures et demie. Ensuite,
je serrai le vent bâbord pour gagner dans l’ouest.
Tous ces Messieurs avaient exécuté à terre les divers
travaux qui leur étaient confiés. MM. Demas et
Montravel avaient obtenu des hauteurs du soleil,
M. Dumoulin avait fait des observations sur l’aiguille
aimantée; il avait, en outre, gravé deux marques sur
le roc de la falaise et mesuré leur hauteur exacte au-
dessus du niveau de la basse mer. M. Gourdin avait
levé le plan de la baie et s’était procuré plusieurs
sondes; il avait constaté que la place du bon mouillage
ne se trouvait qu’à une encâblure de la plage, et là il
y avait encore de 15 à 20 brasses d’eau. Aussi un
navire fera-t-il toujours prudemment d’avoir une ancre
à terre pour éviter de chasser dans une des rafales
qui descendent fréquemment de la montagne.
A les en croire, les cinq individus que nous avions
vus dans l’île y avaient été déposés dix-huit mois
auparavant, afin d’y travailler à la pêche des phoques
pour le compte d’un habitant de Yalparaiso, et depuis
six mois ils n’en avaient plus entendu j 1p arler. Deux 1JSu:i!nÎ,.‘ mois et demi avant nous, un grand navire avait passé
en vue de l’île, mais à bonne distance, car on n’avait
pas pu découvrir son bois. Nous supposâmes que
ce devait être la Vénus.
Ces hommes assurèrent que l’île renfermait des
chevaux et des chiens sauvages, et même encore
quelques chèvres, mais si agiles et si farouches qu’il
était impossible de les attraper. La pêche était, du
reste, fort abondante et faisait la principale nourriture
de ces pauvres diables; M. Demas leur échangea
pour vingt galettes de biscuit, huit belles morues
fraîches qui furent bien accueillies à bord.
Nos officiers purent reconnaître un espace pavé,
les ruines des batteries, et encore quelques canons
rouillés de l’ancien établissement espagnol. On y
trouva aussi quelques arbres fruitiers qui avaient dû
y être plantés par la main des hommes *.
Aussi bien que mes compagnons, je regrettai vivement
de ne pouvoir fouler ces lieux si célèbres par la
plume ingénieuse d’un Anglais qui en fit la résidence
de son héros, aussi bien que par le séjour d’un amiral
fameux, son compatriote, qui vint y réparer ses
vaisseaux désemparés et y rétablir ses équipages maltraités
par le scorbut.
Chacun sait en effet que le séjour du matelot anglais
Alexandre Selkirk a donné lieu aux aventures fictives
de Robinson Crusoë. Mais tout le monde ne sait pas