bonne foi; mais il brodait là-dessus de manière à en avoir au
moins pour deux grandes heures.
Après lui se pre'senta Trangail-Lanec (ravin profond), cacique
du Conu.
Son air fier et assuré, son regard sombre, sa longue chevelure
noire qui retombait sur ses larges épaules, couvertes d’un long
poncho de la même couleur, nous faisaient présager qu’il n’était
pas un messager de paix. Cependant il commença et finit son
compliment, qui dura bien une heure et demie sans que rien fût
dit d’offensant à la nation chilienne. Il était placé debout au
milieu ; le grand silence qui régnait autour nous indiquait l’intérêt
qu’il inspirait, et lorsqu’il termina par la formule, Ai-je
bien d it, hommes puissants? on put remarquer qu’il avait plus
d’influence que Couroumilla sur les princes assemblés.
L’intendant lui fit une réponse dans le genre des précédentes,
et il ordonna que de copieuses rations de viandes et de vins fussen t
distribuées à ses hôtes ; puis il leva la séance à notre grande satisfaction.
Outre que ces messieurs, très-éloquents sans doute pour
les leurs, n’étaient pas très-amusants pour nous, la puanteur
qu’ils exhalaient, la chaleur du lieu n’étaient pas dénaturé à
être supportés plus longtemps. M. Rouse, homme à précautions,
trouvait qu’il avait commis une faute énorme en ne garnissant
pas sa malle de quelques flacons d’eau de cologne.
Ces Indiens sont terriblement amis de l’étiquette : je crois
qu’ils pourraient le disputèr aux plus entichés des barons allemands.
Ils ne vous font grâce de rien lorsqu’il s’agit des cérémonies
de leurs assemblées. Ce sont aussi d’intrépides orateurs, du
moins ils parlent longtemps et vite. Mais, d’après ce que j ’ai cru
apercevoir, ils ne disent pas grand’chose. Ils sont d’ailleurs na-
zonneurs et répéteurs, ils narrent et renarrent dix fois la même
chose, et ne vous épargnent surtout aucun des moindres incidents
de leur voyage. Ainsi, avant d’entrer en matière, il faut
que vous sachiez qu’ils sont montés à cheval, qu’ils ont pris le
rênes dans telle main combien de fois ils se sont arrêtés en route
tant pour faire boire ou manger leur cheval, que pour se: reposer
eux-mêmes; quels gens ils ont rencontrés, les endroits où ils ont
fait halte, enfin le jour, l’heure de leur arrivée et le temps qu’il
faisait. Si vingt Indiens vous saluent, vous devez avoir la bonté
d’écouter très-sérieusement vingt petites relations de ce genre.
Ajoutez à cela que, leur langue étant très-pauvre, ils sont obligés
d’avoir souvent recours à l’emploi du même mot dont le sens
est relatif a sa collocation. Bien que cette observation soit relative
à l’opinion de Molina, je crois qu’il est facile dé la soutenir ;
car, si 1 on observe l’état de leur civilisation, le petit nombre de
leurs besoins , on voit que le cercle de leurs idées étant fort limité
, une grande variété de mots ne leur est pas nécessaire pour
les exprimer.
: Ils ont une formule commune pour les compliments d’étiquette.
D’abord, jamais un Indien, un cacique même, ne s’approche d’un
supérieur, pour le saluer, sans lui en faire demander la permission
par un autre plus âgé ou plus élevé en grade que lui. Alors
il s’avance et demande l’accolade ’ , qui ne lui est jamais refusée,
à moins d’une inimitié déclarée ; puis il commence la harangue
d’usage, et Dieu vous donne patience pour l’écouter jusqu’à la fin.
Ce discours est prononcé sur un ton tout différent de celui
qu’on observe dans les conversations ou dans les discussions;
c’est une espèce de chant qu’on pourrait comparer au récitatif de
nos opéras français. Chaque période est terminée par un point
d’orgue en re mineur et très-soutenu. Pendant ce temps, le supérieur
écoute la tête baissée, les yeux fixés vers la terre, et de
I 1 II y a plusieurs classes d’accolades suivant la position relative des individus.
Deux chefs égaux ôtent leurs chapeaux , s’ils en o n t, et se croisent les
bras en passant la main droite sur l’épaule gauche. U n prince du sang n’in clinera
le bras que jusqu’au-dessus de la saignée. E nfin, le menu peuple ,
lorsqu’il salue un supérieur, lui touche seulement la main du bout des doigts,
ou bien celui-ci lui tend son bonnet et il le touche avec le sien.