grillades pour eeux de leurs maris qui e'taient encore en état de
manger. Le plancher était parsemé de bon nombre de ces héros
qui n avaient pas pu résister aux coups^ trop répétés du divin
jus de la treille. Lorsque j entrai, quelques-uns des plus vivants
m’entourèrent en me faisant force signes d’amitié, auxquels ils
ajoutèrent tous les mots espagnols qu’ils savaient. Il fallut bien
fraterniser, et pour cela mouiller mes lèvres dans les vases qu’ils
me présentaient; mais ils furent tous très—respectueux. Malgré ce
petit désagrément et les inconvénients qui pouvaient en être la
conséquence, je n étais pas fâché de me faire remarquer de ces
Indiens. Qui sait si je ne serai pas obligé un jour d’aller tirer de
leurs mains quelques pauvres naufragés ?
Le lendemain , il s agissait de planter la croix sur le lieu des
conférences. L ’intendant et les officiers considéraient cette cérémonie
comme une vraie comédie ; mais cependant nous l’engageâmes
à lui donner tout l’apparat possible et il se rendit facilement
à nos conseils.
En conséquence, à dix heures du matin, toutes les troupes
étaient sous les armes, le curé en grande tenue ; les cloches sonnaient
et le tambour battait. Nous nous rendîmes à l’église accompagnés
des autorités civiles et militaires ; l’intendant, le consul anglais,
le commandant de la place et moi, nous portions des cannes
comme celles données aux caciques. J’avais indiqué cette idée
comme devan t faire attacher une plus haute importance à ce signe
distinctif, puisque les indigènes ne le voyaient que dans les mains
des personnes qu’ils considéraient comme jouant un grand rôle
dans le pays.
En entrant dans 1 église, nous trouvâmes au milieu une grande
croix de bois qui pouvait avoir de 25 à 3o pieds de longueur. Autour
étaient les caciques debout, dans une contenance dont la
bizarrerie ajoutait à celle de la cérémonie. La veste bleue à collet
et pai ements rouges, qui leur avait été donnée la veille, était leur
principal ornement; au lieu de pantalons, ils portaient une pièce
de leur tissu de laine attachée à la ceinture et formant une espèce
de jupon qui leur descendait jusqu’aux pieds. Ils avaient la tête
ornée de verroteries, de grelots, de rubans, et autres colifichets,
le tout artistement placé par-dessus un mouchoir de coton de différentes
couleurs ; enfin ils tenaient à la main la fameuse canne à
pomme d’argent.
Après une pause d’un instant dont le curé profita pour bénir la
croix, une quinzaine d’indiens la portèrent sur leurs épaules et le
cortège, ayant le curé en tête, se mit en route au son du tambour.
Arrivées sur le lieu des conférences, les troupes formèrent un
grand cercle au milieu duquel nous nous plaçâmes , les caciques
se groupèrent en face de nous.
Alors recommencèrent devant la croix les longs discours, les
protestations de part et d’autre, mais elle ne fut plantée et sa base
ne fut recouverte de terre, qu’après qu’il fut bien convenu que
toutes les paroles étaient bien enterrées. Les caciques demandèrent
ensuite qu’un agneau fût apporté; on l’immola au pied de
la croix et trempant eux-mêmes leurs mains dans le sang, ils la
barriolèrent de plusieurs signes, en apparence hiéroglyphiques.
Je fus frappé du rapprochement de ces coutumes avec celles des
Hébreux dans les cérémonies desquels l’agneau et le sang de l’agneau
jouaient bien souvent un rôle important.
Les Chiliens qui nous entouraient, tournaient en ridicule la
solennité des Indiens. Les premiers , il est vrai, se promettaient
bien de manquer à leurs promesses à la première occasion, tandis
que les caciques avaient l’intention de les tenir.
Enfin , un feu de peloton de l’infanterie termina la cérémonie,
et je crus m’apercevoir que cette marque de considération à laquelle
ne s’attendaient pas ces Messieurs, ne leur fut pas des plus
agréables.
Nous reconduisîmes le curé à l’église où il fallut encore que l’intendant
Rouse et moi restions agenouillés et en contemplation
pendant quelques minutes.