divisée en une foule de petites sections qui ont leurs chefs séparés.
Aucun lien ne les rattache à un centre d’autorité. Ainsi il y a
presque autant de caciques que de familles, et le plus opulent
d’entre eux ne pourrait réunir deux cents lances parmi ses sujets.
Parmi ceux-ci même, le plus influent est le plus hardi. Lorsqu’il
s’agit de faire une invasion, ils sont obligés de se réunir au moins
une douzaine de caciques. Chacun d’eux commande son monde
à sa manière, agit comme il v eu t. et le plus souvent ils sont peu
d’accord. Ajoutons à cela que, soit par les vols qu’ils se font entre
eux, soit par la jalousie que soufflent les chefs parmi eux, ils sont
souvent en guerre les uns contre les autres, et nous sommes persuadés
qu’ils ne peuvent penser à rien de sérieux.
Cette division est sans doute fort heureuse pour les Chiliens.
Aussi ont-ils soin de l’entretenir. Tantôt ils protègent l’un, tantôt
ils achètent l’autre, et d'autrefois ils entretiennent le feu de la
discorde au milieu d’eux.
D’un autre côté, j ’ai entendu assurer à des personnes dignes
de foi qu’ils sei'aient plus disposés à la paix qu’à la guerre. Cela
présente quelques probabilités, lorsque l’on réfléchit sur leur intention
actuelle. On ne peut plus les considérer aujourd’hui
comme plongés dans l’état de barbarie , où ils étaient encore du
temps des Espagnols. La guerre de l’indépendance et les dissensions
civiles même ont jeté au milieu d’eux un assez grand nombre
de chrétiens qui y ont porté quelques semences de civilisation.
Déjà ils sont en grande partie propriétaires, ils ont des maisons,
des champs cultivés, et tiennent au sol sur lequel ils sont nés.
Le commerce, en améliorant leur existence, leur a créé des besoins
qui ne contribuent pas peu à les rapprocher des Européens.
Enfin on remarque que les invasions ne sont-pas faites par les
tribus voisines des frontières, mais bien par les Peguerches et les
Moluches, hordes venues du centre ou de l’autre côté des cordillères
, et par ces bandes nomades qui ne possèdent rien, pas même
dans leur pays. Mais, pour arriver jusqu’aux Chiliens, ils sont
obligés de traverser le territoire des Indiens, que j ’appellerai demi-
civilisés, et là ils ne trouvent d’alliés ou de protection qu’autant
que cés derniers ont des motifs de plainte contre leurs voisins.
Il serait donc peut-être facile à ceux-ci de les attirer, et ils y parviendraient,
dit-on, en agissant de bonne foi avec eux, en ne leur
volant pas leurs bestiaux, en ne s’emparant pas de leurs terrains
parla force. Voilà ce dont ils se plaignent, et on prétend que c’est
avec raison. Par exemple, on attribue la dernière invasion à des
représailles auxquelles Colipi a donné lieu en volant les animaux
de quelques-uns de ses voisins. Plusieurs des habitants de la
frontière compromettent souvent le gouvernement en abusant de
sa protection pour opprimer et piller les Indiens dans les moments
de la plus grande tranquillité. Je ne doute pas , moi, que
beaucoup d’individus ne soient intéressés à entretenir les préventions
qui existent à leur égard.
La religion pourrait aussi aider à les civiliser. N’ayant aucun
Culte religieux, on peut présumer qu’ils ne repousseraient pas le
nôtre. Mais il faudrait pour cela d’autres prêtres que ceux que
l’on trouve généralement dans ce pays. On a été obligé de changer
souvent le curé d’Arauco, parce que c’était toujours le plus
immoral du village. Celui qui existe actuellement est, dit-on, un
peu plus circonspect ; mais c’est un pauvre diable qui sait a peine
lire. Quelle est l’influence que de pareils ministres peuvent avoir
sur des paroissiens dont ils partagent les turpitudes? Les Indiens
n’ont effectivement aucun dogme; ils reconnaissent cependant
deux pouvoirs secrets dont ils ne savent pas se rendre compte, celui
du bien et celui du mal. Le premier s’appelle Pillan, et le second
Guecu, mais ils ne leur donnent aucune origine fixe, et chacun
l’applique à sa manière, aux choses qui frappent le plus son
imagination. Ainsi les uns ont en vénération une montagne, un
arbre, d’autres une rivière, un bois. Leur culte consiste a se réunir
auprès de leur divinité et à pousser de grands cris, à pleurer
même, enfin à lui sacrifier un mouton, une vache ou un cheval.