laires avaient manifesté un profond sentiment de dégoût eu
voyant du boeuf salé, pensant sans doute que c’était de la chair
humaine.
Cependant, d’après les recherches de nos missionnaires et les
confidences mêmes des habitants, il est bien prouvé qu’ils n’ont
abandonné cette horrible coutume que depuis peu d’années. Aujourd’hui
on trouve facilement des enfants qui se rappellent avoir
vu de semblables repas, C’était du reste parmi ces innocents
qu’on choisissait les victimes, et quand de pareils appétits se faisaient
sentir chez ces hommes sauvages, il leur arrivait fréquemment
d’assassiner un enfant et de contenter leurs affreux désirs.
Le plus souvent, leurs coups tombaient sur les orphelins et sur
ceux qui, ayant été abandonnés de leurs parents, n’avaient plus
alors de protecteurs naturels. On a même assuré qu’on avait vu
des pères échanger leurs enfants entre eux, pour satisfaire à la
voracité qui les tourmentait, une répugnance facile à expliquer
les empêchant d’assouvir leurs désirs sur leur propre progéniture.
Il y avait une certaine manière de disposer les feux qui devaient
servir à la préparation d’un semblable repas, car les enfants
ne s’y trompaient pas. Aussi, quand ils voyaient un naturel
creuser dans le sol une petite fosse plus longue que large, la garnir
de cailloux plats et placés les uns auprès des autres, etquand
cet homme n’avait, pas dans sa case une certaine quantité de
poissons ou d’autres choses, ils se demandaient entre eux qui serait
la victime, et dans cette incertitude cruelle , ils s’empressaient
de prendre la fuite et d’aller se cacher dans les roseaux de
la montagne. D’après le récit de ces enfants, il paraîtrait qu’on
avait soin d’envelopper le Cadavre de feuilles de bananier avant
de le placer sur les cailloux disposés pour le faire cuire. Quand
il avait été placé convenablement dans sa petite fosse et entouré
de pierres, on allumait un grand feu tout autour, et on attendait
qu’il eût atteint le degré de cuisson convenable pour le dévorer.
On m’a montré à Manga-Reva un endroit où le dernier repas de
ce genre s’était fait peu de temps avant l’arrivée des missionnaires
dans ce pays.
Quant à moi, il m’a semblé que ces hommes ne manquaient
pas d’une certaine bienveillance. Ils ont été confiants et bons avec
nous ; et pour ma part, je n’ai remarqué aucun vice saillant chez
ces insulaires. On les disait voleurs et ils ne nous ont rien pris ;
on les disait cruels et aucun acte de cruauté n’a été commis pendant
notre séjour dans ces îles. Peut-être que l’introduction du
christianisme les a complètement changés, etquand on songe que
depuis deux ans à peine ils en connaissent les lois, j ’ai peine à
croire qu’un laps de temps aussi court ait pu modifier leur caractère
à ce point. J’ai vu au contraire un corps de nation organisé,
un roi souverain de toutes ces îles, des lois bonnes et mauvaises,
des partages de terres et de propriétés, et il paraît même
que la religion des plus éclairés d’entre eux n’était pas tout-à-
fait dénuée de sens et de poésie. Ils avaient une idée de l’immortalité
de l’âme; ils supposaient une autre vie. L’âme de celui qui
mourait était enfermée étroitement dans un trou ou dans un
petit espace qu’ils imaginaient à leur manière. Ainsi placée, une
petite ouverture lui permettait de respirer les parfums du nouveau
monde dont elle faisait partie : ainsi prisonnière, cette âme
était d’autant plus comprimée, molestée, privée des parfums du
ciel qu’elle avait appartenu à un mortel méchant et injuste. Celle
du juste , au contraire, jouissait à son aise des voluptés attachées
à son nouvel état. Suivant leurs croyances, une relation intime
existait malgré la mort, entre les âmes et les corps , et ils pensaient
que ces derniers, malgré l’anéantissement apparent, éprouvaient
les mêmes joies ou les mêmes souffrances que les âmes qui
les avaient un instant animés.
Ces insulaires paraissent encore aujourd’hui ignorer complètement
l’usage de l’arc. Dans leurs guerres ils n’employaient que
le casse-tête et la lance. Cette dernière était garnie à une des ex