épisode de la nôtre pouvait passer à lui seul pour un voyage ; et
tournant le dos de nouveau à la civilisation et à tout ce qui pouvait
nous rappeler notre pays, nous savions que nous allions
rester bien longtemps sans avoir des nouvelles, et sans même
trouver d’occasion d’en donner des nôtres. Maigre' cela , nous
étions tous joyeux et contents, et nous nous faisions une fête
d’avance de voir les îles pour ainsi dire fabuleuses du grand
Océan, dont la lecture des anciens voyages avait laissé, dès l’enfance,
des portraits si flatteurs dans notre imagination, que nous
doutions même que la réalité, quelque différente qu’elle fût, pût
jamais les effacer complètement.
(M. Dubouzet.)
N o t e 5 3 , p a g e 1 1 7 .
Vers le milieu de la nuit, on signala la terre devant nous. Au
matin , elle paraissait à peu de distance ; c’était une terre élevée ,
dont les sommets aigus et bizarrement découpés se détachaient en
bleu sombre sur un ciel gris et brumeux.
Favorisés par une bonne brise, nous en approchions rapidement.
L'Astrolabe nous fît le signal de nous préparer au mouillage.
Celte nouvelle inespérée me fit grand plaisir, aucun naturaliste
n’avait encore visité cette petite île ; et puis, c’était là
qu’avait vécu Selkirk, ce matelot anglais dont l’histoire a servi
de base aux aventures de Robinson Crusoë. C’était là aussi que
l’amiral Anson, poursuivant l’or espagnol, était venu relâcher
avec ses équipages ravagés par le scorbut.
Vers midi, nous étions à petite distance, longeant la côte pour
arriver à la baie Cumberland, située au nord de l’île. Le ciel s'était
éclairci, le soleil brillait d’un vif éclat. Dans notre course
rapide , l’ile entière se déroulait devant nous ; mais le panorama
était toujours le même : pour rivage, une falaise aride, et au-
delà , des sommets déchiquetés, vieux volcans éteints qui semblaient
encore verser des torrents de lave. Certes , cette île était
loin de nous offrir cet aspect enchanteur, si naïvement dépeint
dans le récit d’Anson. Cette belle cascade, dont la vue réjouit
tellement ses compagnons , n’était qu’un maigre filet d eau tombant
dans la mer d’une médiocre hauteur.
Nous arrivâmes bientôt en vue de la baie Cumberland. L’aspect
en est plus riant; des deux côtés, la falaise s interrompt
pour laisser voir une petite anse peu profonde , de hautes montagnes
couvertes de verdure l’entourent de tous cotés, et descendent
en pente douce jusqu a une plage de galets.
A quelque distance du rivage, le sol est vert et parsemé de
bouquets d'arbres ; nous y aperçûmes deux ou trois chaumières
.
Nous arrivions ; encore quelques instants et nous allions
mouiller, lorsque la b rise, jusque-là favorable, nous abandonna
tout à coup. Un calme plat lui succéda. Nous étions trop près ,
cependant, pour ne pas tenter quelques efforts ; on cargua les
voiles , on mit les canots à la mer ; les sabords s’ouvrirent pour
laisser passer les longs avirons de galère, qui frappèrent l’eau à
coups mesurés. Mais tous nos efforts furent impuissants : un courant
semblait nous repousser. 11 fallait voir nos deux pauvres
corvettes , à la coque noire et lourde, agiter lentement leurs bras
grêles comme deux gros scarabées tombés dans un ruisseau. Ejles
reprirent bientôt une allure plus convenable. La brise s éleva de
nouveau, mais du fond de la baie, c’est-à-dire tout-a-fait contraire
: on largua aussitôt les voiles , et on louvoya pour gagner
le mouillage. Nous le fîmes avec assez de succès ; encore deux ou
trois bordées , et nous étions mouillés ; mais la nuit approchait,
et Y Astrolabe, qui avait prolongé ses bordées, voyant quelle
était encore à une grande distance de la baie, reprit le large.
Force nous fut de l’imiter. Nous passâmes la nuit eu panne.
Le lendemain , on tenta de nouveau d’aller au mouillage ; mais
le vent était toujours contraire, et nous étions assez éloignés de