du pays, le soldat est mesquinement tenu et nourri,
et peu régulièrement soldé. Dans leur vie habituelle
des champs, tout misérables qu’ils sont, ils jouissent
du moins de la liberté et du far-niente, deux des premiers
besoins de la vie pour un homme dans les
veines duquel coule du sang espagnol.
Mon maître-d’hôtel Joseph me dit que Tomé était
un village de la même grandeur environ que Talcahuano
, mais dont les maisons étaient en meilleur état.
Il me conta aussi une scène dont il fut témoin. Un naturel
du pays, par suite d’une querelle, avait assassiné
un Anglais, et la justice locale l’avait condamné à
mort. Le matin même, un piquet de troupes avait été
mandé par l’autorité ; la sentence portant qu’il serait
fusillé, le condamné était conduit au lieu de l’exécution.
Sa femme parcourait les divers groupes des assistants
en leur demandant leur pardon pour ce malheureux
, alléguant que , puisque Dieu lui avait
pardonné, les hommes ne devaient pas lui être plus
rigoureux. Par ces mots, ce n’était pas sa vie qu’elle
réclamait, mais bien simplement le pardon spirituel.
Au moment même de la fusillade, pour se donner plus
de courage sans doute, la veuve éplorée avala plusieurs
coups d’eau-de-vie qu’elle se procura dans les
divers cabarets du village. C’est un curieux échantillon
des moeurs populaires du Chili.
Je reçois la visite du capitaine du baleinier arrivé
la veille au soir sur la radê. Ce capitaine, parti au mois
de juin du Havre, a pu se procurer, en quatre mois,
1,000 barils d’huile sur 2,500 que peut porter son
navire ; mais, depuis quatre mois, il n’a plus revu une
seule baleine.
Il vient de Mocha, occupé en ce moment par une
cinquantaine de naturels qui y cultivent des légumes
et y élèvent quelques bestiaux. Chiloë est un endroit
à éviter pour les baleiniers, à cause des désertions.
Par bonheur, le remède s’y trouve à côté du mal. Les
Français ayant beaucoup de peine à s’y procurer les
moyens de subsister, finissent presque toujours par
se rengager. Aussi ce capitaine ne s’inquiète pas ici
de ses matelots, certain qu’il sera toujours facile,
dit-il, d’en retrouver à Chiloë.
Je termine le rapport détaillé sur les opérations de
la campagne que je compte adresser de Valparaiso au
ministre de la marine. Je tenais beaucoup à ce que
ce rapport n’arrivât qu’après les lettres de la plupart
des officiers, afin que chacun pût juger de sa sincérité.
Tant de capitaines ont abusé de leur position
officielle pour déguiser la vérité et exagérer les faits,
qu’à mon avis, un homme de conscience ne saurait
prendre trop de précautions pour se mettre à l’abri
de pareils soupçons *.
Toute la journée d’hier et celle d’aujourd’hui, les
canots de la corvette chilienne sont occupés à embarquer
leurs recrues, qui offrent un coup d’oeil assez
mesquin. La plupart sont pieds nus, et leur accoutrement
est des plus piètres**. Parfois ils poussent des
10.
11.
* Note 36.
** Note 37.