à l’hopital de terre : vingt-trois autres furent traités abord, parce-
que je les jugeai trop agiles, et que j ’eusse craint pour eux la facilité
d’échapper à la surveillance. D’ailleurs, aussitôt que le travail
peut être supporté sans trop de fatigue, il hâte la guérison
en aidant la digestion ; et le séjour du bord est alors aussi le
moyen le plus sûr d’éviter les excès qu’encouragent et favorisent-
les rapports avec les habitants. Ces marins, peu utiles dans le premier
instant, furent rapidement en état d’exercer leurs forces et
purent presque tout de suite partager les travaux exécutés pour,
la réparation de VAstrolabe, en joignant leurs efforts, quelque
faibles qu’ils fussent d’abord, à ceux de leurs camarades, tous un
peu valétudinaires.
Le rétablissement de l’équipage a exigé quarante-cinq jours
de traitement au milieu des conditions les plus favorables. Cependant
plusieurs matelots réclament encore notre surveillance;
car, si ceux qui ont été les plus affectés jouissent maintenant d’un
grand appétit, et s’ils ne se plaignent d’aucune lassitude, même
après le travail, ils n’en ont pas moins encore des digestions irrégulières,
et plusieurs d’entre eux ont quelques glandes des aisselles
et des aines un peu engorgées. Mais les intentions du commandant
me rassurent sur l’avenir : il doit emporter, tant d’ici
que de Valparaiso, une grande quantité d’animaux vivants à l’ur-
sage de nos matelots. Grâce à cette mesure prévoyante, la pureté
de l’air du large, la beauté des climats que nous allons successivement
parcourir, le travail et la régularité de la vie du bord,
nous assurent un rétablissement parfait pour l’époque de notre
entrée dans la zone torride.
Nous devons nous estimer bien heureux en reportant notre
esprit sur le passé, et en considérant l’état actuel de notre équipage
: c’était une fâcheuse atteinte portée aux espérances de l’expédition
que l’apparition du scorbut au début de la campagne ;
la moindre des contrariétés qui pouvait en résulter était, à mon
avis, un retard de trois mois, car je n’avais pas encore vu cette
"maladie céder aussi rapidement et aussi complètement dans l’espace
de quarante-cinq jours. C’est en effet après cè laps de temps
que nous reprenons la mer, et nous le faisons - sans inquiétude.
Que c’est heureux ! un retard tel que celui que j ’appréhendais
eût nui bien certainement à l’exécution du plan de la campagne
et aux modifications que compte sans doute y apporter M. Du-
mont d’Urville, afin de lui donner le plus d’extension possible.
Du moins, les travaux exécutés dans le détroit de Magellan, où
nous n’espérions point entrer, m’autorisent, ce me semble,
à lui supposer cette intention, toute dans l’intérêt de la
mission.
Le temps presse toujours dans de semblables campagnes ;
chaque époque y est marquée d’avance pour l’acccomplissement
-d’un devoir ; aussi un événement, qui vient dès vos premiers pas
-entraver votre marche, renverser vos calculs, soumettre vos projets
aux nouvelles chances d’une prolongation de campagne,
augmente l’incertitude de l’avenir. Les D » foi’ces humaines luttent
•sans doute longtemps contre la fatigue ou les atteintes fréquentes
des maladies ; mais elles ne le peuvent que pendant un temps sagement
limité; si vous dépassez les bornes de leur durée, la
santé abandonnera tout à coup même les plus vigoureux ou les
plus heureux, et les vains efforts réitérés de la nature pour la
guérison de maux rebelles à la médecine, n’amèneront rien que
l ’épuisement de la vie. Tout dépend du début dans une navigation
aussi longue que celle que nous avons a aeheyer : s il est
accompagné de maladies, comment supportera-t-on les privations,
les changements de climat? Certes, on sera bien mal préparé à
leurs attaques contre la santé. C’est au contraire une grande présomption
en faveur du succès, lorsque la santé des équipages se
soutient jusqu’au dernier quart du temps accordé à un voyage
de découvertes.
On ne pouvait débuter plus malheureusement que nous ne l’avons
fait sous le rapport de l’espèce de maladie, car le scorbut est une