commandement. Les armateurs, en effet, préféreront toujours
ceux qui, faute de mieux, les empêcheront au moins de perdre
les frais qu’ils avaient faits.
Dans tous ces marchés secrets et scandaleux, que la loi ne saurait
atteindre parce que la conviction morale ne lui suffit pas,
etqu’ilfaut, pour qu’elle condamne, des preuvesplus matérielles,
les matelots ne paraissent pas, ils n’ont rien à prétendre, et un
négociant avide leur prouverait même au besoin qu’il est leur
créancier, parce qu’ils n’avaient pas encore gagné leurs avances
au moment du naufrage.
Ne serait-il pas plus moral et plus rationnel d’accompagner
l’ordonnance qui promulgue la prime, d’une, loi de répartition
plus en harmonieavee lajustice et moins favorableà l’aviditéd’uu
négociant. Ainsi, par exemple, qu’on intéresse le capitaine et l’équipage
d’un navire baleinier pour un vingtième, et qu’on s’occupe
en même temps qu’on améliorera ainsi le sort des matelots
qui font cette pêche, de faire des lois capables d’arrêter ces incessantes
désertions à l’étranger, que des capitaines immoraux, soit
par des mauvais traitements, soit par d’autres moyens, provoquent
quelquefois, au moment du retour en France, pour avoir
moins à donner et plus à garder.
11 arrive aussi que les matelots, à la suite d’une pèche malheureuse,
abandonnent volontiers un navire dont le chargement négatif
ne les intéresse plus, pour aller sur un autre essayer des
chances plus productives. Il en résulte que le capitaine qui n’a
pas réussi, voit son bâtiment compromis par suite de ces absences
et se voit alors obligé de prendre avec lui l’écume des marins,
c’est- à-dire, ces matelots marrons, de tous états et de tous pays,
qu’on appelle communément lascars, et qui ne tenant à aucun
lien social, bravant des lois qu’ils ne connaissent que par ouï
dire, viennent jeter le trouble, la discorde et le plus souvent la
révolte à bord des bâtiments où ils embarquent. On me dira
peut-être que ces abus sont inévitables, qu’en partageant ainsi la
prime, on découragerait les armateurs. 11 est bien clair que ceux
d’entre eux qui spéculent sur elle, ne continueraient plus leur
système ; mais on en trouverait encore un bon nombre qui accepteraient,
j’en suis sûr, un gain aussi considérable. D’ailleurs, quel
est lebutde l’Etat, en favorisant cette pêche? c’est d’ouvrir une nouvelle
branche à l’industrie française, et de former en même temps
des matelots. Eh bien ! si le premier but est en partie rempli, le
second ne l’est certainement pas, et on serait dans l’erreur, si on
croyait que la marine militaire recrute ses bons gabiers ou ses
futurs officiers mariniers parmi les aventuriers qui ont chassé la
baleine. 11 en serait cependant ainsi, si on avait fait un peu plus
d’attention aux règlements qui régissent cette classe de navigateurs,
et si le gouvernement avait veillé davantage à établir un
équilibre plus juste entre le gain de l’armateur et l’intérêt de ceux
qui l’enrichissent.
Je n’ai pas rencontré un seul capitaine baleinier qui ne soit
convenu avec moi que le matelot était fort mal partagé, et tous
sonttombés d’accord sur ce point qu’il serait urgent d’établir une
loi plus raisonnable à cet égard.
Voici au reste, comment les bâtiments sont armés pour la pêche
de la baleine. Un armateur annonce qu’il va fréter un navire
pour cette destination. Les courtiers des ports font bientôt circuler
cette nouvelle qui parvient d’abord aux capitaines qu’ils protègent
et avec lesquels ils se sont arrangés d’avance. Il y en a de
deux classes, ceux qui ont fait déjà plusieurs voyages comme chefs
de pèche ou qui ont obtenu leur brevet de capitaine au long-
cours, et ceux qui sont simplement capitaines de pêche.
Habituellement ceux d’entre eux qui commandent pour la première
fois, inspirent peude confiance et n’obtiennent guère qu’un
quinzième du chargement. D’autres plus formés ne partent qu’à
la condition du douzième, et ceux aussi qui sont connus pour
avoir fai t plusieurs voyages et comme des hommes capables et heureux,
obtiennent quelquefois le neuvième de la cargaison à venir.