quelquefois ornés de petites têtes humaines sculptées.
M. Roquemaurel avait apporté un rasoir un peu usé,
pour essayer de l’échanger contre un de ces objets!
Je ne sais si Moë vit le rasoir, ou si l’idée lui en vint
spontanément; quoi qu’il en soit, il s’empressa de m’en
demander un comme une chose toute simple; je lui
dis que je n en avais point, mais je lui fis comprendre,
en lui montrant le lieutenant, que ce chef lui en céderait
un s’il voulait lui donner en échange ses pendants
d’oreilles. Il parut d’abord y consentir; mais
quand il eut le rasoir dans les mains , il le considéra
en faisant une grimace indiquant le mépris au plus
haut degré, puis il le rendit avec dédain à son propriétaire,
après m’avoir expliqué que la lame était
trop mince et trop étroite, et qu’en la frottant sur la
pierre elle serait bientôt usée : par un geste expressif
il fit comprendre qu’il en désirerait un de six pouces
de long sur trois pouces de large et épais à proportion.
Je lui montrai un tranchant de cette dimension et
plus grand encore ; cette fois il vit bien que je me moquais
de lui, et il fit semblant de s’occuper de toute
autre chose. Cependant le rusé matois suivait le rasoir
du coin de l’oeil. Puis au bout de quelques minutes il
le redemanda comme pour l’examiner de nouveau *
après avoir tenté de l’obtenir pour un seul de ses
pendants d oreilles, il finit par les livrer tous deux ;
mais non sans avoir développé un talent de négoce
bien remarquable, et qui aurait pu faire honneur
au juif le plus exercé.
avec beaucoup d’aisance et de gravité, après m’avoir
salué d’un at your health et en r em e r c ia n t ensuite par
un denke ( thank’ee ). Il eut soin d’ajouter qu’il connaissait
aussi fort bien le sucre, le café, le thé, la
bière, le pain, etc.
Comme il examinait la roue du gouvernail d’un air
capable, je lui demandai s’il serait en état de gouverner
un navire : d’un sang-froid impertubable il
répondit me steer ship very icell/et s’offrit à m’en
donner la preuve.
Quand il ne prend pas son air bouffon, la tournure
de Moë est noble, grave et assurée; il a soin de
ne point se compromettre avec les matelots. Il affecte
un ton de supériorité vis-à-vis ses compatriotes, et
vient me les présenter avec beaucoup de convenance
et de dignité à mesure qu’ils montent a bord, puis
il a soin de les faire retirer au large.
Cependant une petite brise d’est s’est relevée, et
nous avons déjà quitté l’abri de l’île, aussi la mer
est-elle un peu clapoteuse. Moë me le fait remarquei
et me montre qu’elle fatigue sa frêle pirogue. Puis il
me demande avec beaucoup de politesse la permission
de s’en aller. Alors je lui propose de renvoyer sa pirogue
et de m’accompagner sur le navire à Nouhiva ;
il répond tranquillement qu’il y consent et reste volontiers,
si je lui promets de le ramener ensuite sur
son île, mais que dans le cas contraire ce serait pour
lui une mauvaise chose. Comme je ne voulais pas
tromper ce pauvre diable , ni le mettre dans 1 embarras,
je fus le premier à le congédier.