danger à courir. Ma démarche pour arriver à cet endroit était
celle d un homme ivre. Je m’assis aussitôt par terre et je commençai
à éprouver la sensation désagréable qui précède le vomissement
causé par le mal de mer. Sensation que j ’éprouve
toujours quand les tremblements sont prolongés , et dont beaucoup
de personnes se plaignent aussi.
Le mouvement augmenta de force pendant une minute et demie
à peu près. Pendant ce temps, j ’observai deux rangées de
peupliers d’Italie qui se trouvaient devant moi, et quoiqu’ils
eussent a trois pieds au-dessus du sol i 5 pouces environ de diamètre,
ils se ployaient comme des roseaux, e t , chose singulière,
dans une direction différente de celle des oscillations de la terre 1.
Alois, pendant un intervalle de trois secondes environ, le
tremblement sembla diminuei’ ; mais tout à coup il redoubla de-
force, et en moins de deux secondes il devint tellement violent,
que la terre ressemblait a une mer agitée. Si je ne m’étais pas soutenu
en mappuyant sur les mains que je portais en arrière,
j ’aurais été culbuté.
En 7 ou 8 secondes, la maison et la plupart des édifices qui
m’entouraient furent renversés ; je n’entendis ni leur chute , ni
les hurlements des domestiques qui se trouvaient auprès de
moi ; tout était étouffé par le bruit affreux du craquement de la
terre; bruit dont il est presque impossible de se former une idée
exacte. Je ne puis le comparer qu’à celui que feraient dans
une cour de peu d’étendue 3oo individus battant à la fois de la
giosse caisse et du tambour, avec accompagnement de serpent
d’église.
Au moment où je vis tomber la maison, la terre se fendit à mes
pieds dans deux endroits différents. Deux jours auparavant j ’avais
lu la relation du tremblement de terre qui avait englouti
1 C’est un effet, au contraire, bien naturel des secousses brusques inq ri-
mées aux objets flexibles fixe’s par uri point.
la ville de Cauca, et la seule réflexion que je fis,,c’est qu’il était
triste de mourir d’une manière aussi sotte. . -
La terre continua à être en état de convulsion, mais tous les
objets qui m’entouraient disparurent âmes yeux. Je me trouvai
enveloppé tout à coup d’un nuage de poussière tellement dense,
que je ne, parvenais pas à apercevoir ma main que je portai à ma
bouche. Ce nuage de poussière ne disparut que quelque temps
après que la terre eût cessé de trembler ; il était temps , car je
crois que si je m’étais Irouvé dans la même position une minute
de plus, j ’aurais été suffoqué. C’est la sensation la plus désagréable
que j ’aie éprouvée de ma vie.
La seconde secousse, qui détruisit tout, dura 72 secondes.
Jusqu’au moment de cette secousse, le mouvement avait été
horizontal, et dans la direction observée dans les tremblements
qu’on avait ressentis depuis le 24 décembre i 832. Quand la
seconde secousse commença , le mouvement horizontal se fit
sentir dans toüs les sens, et le mouvement vertical, qui est le plus
dangereux, étant venu le compliquer, tout fut renversé en un
instant.
• Aussitôt que le nuage de poussière dans lequel je m’étais
trouvé enveloppé se fut dissipé, je vis devant moi les domestiques
de la maison, dont la frayeur n’était pas encore passée ; ils semblaient
sortir du tombeau, leur aspect était celui de cadavres qui
venaient de ressusciter.
La maison que j ’habitais semblait s’être aplatie ; le magasin
et autres édificés étaient également en partie renversés, tout
offrait l ’aspect de la ruine et de la désolation.
Inquiet, comme il était naturel, sur le sort de tous mes amis, je
me déterminai à sortir; je ne savais pas trop par où passer. A chaque
instant on ressentait de nouvelles secousses, et passer pardessus
les ruines de la maison me paraissait trop dangereux. Je
préférai franchir trois ou quatre murs à moitié tombés.
- Arrivé dans la rue, le même spectacle de désolation se pré-
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