je ne comptais pas, est d’un heureux augure pour la
suite des travaux du phrénologiste. Pour récompense,
il donna au sauvage un mouchoir, j’y ajoutai un grand
couteau, et il reçut l’un et l’autre avec une vive satisfaction
et en faisant le signe de la croix»
Pour éviter l’inconvénient de la nuit dernière, et
comptant sur le vent du S. 0., une bonne partie de
la nuit j’avais prolongé ma bordée tribord; mais il
n’y a pas eu de courant cette fois, et il en est résulté
qu’au jour je me suis trouvé à quinze ou dix-huit
milles du groupe. En outre, le vent n’a pas varié du
N. 0., et il nous a fallu louvoyer de nouveau pour
rallier les terres.
A l’aide d’une brise assez fraîche, vers trois heures
nous étions déjà près des brisants, quand M. Duroch
me prévint que la pirogue des missionnaires restée
à la traîne, fatiguait beaucoup. Malgré mes observations,
les sauvages et les deux Français l’avaient laissée
à la foi des éléments sans en avoir aucun souci.
Vainement je leur commandai d’aller en prendre
soin et de la préparer pour être embarquée; les naturels,
en cela bien différents de la plupart des Polynésiens
si habiles navigateurs, se contentèrent de regarder
la baleinière d’un oeil indifférent et semblaient
redouter l’idée même de s’aventurer sur l’eau. Les
deux Français étaient encore moins disposés à faire
cette besogne. Il fallut donc que deux de nos matelots
se décidassent à prendre ce soin ; mais au moment où
elle accostait le long du bord, elle s’engagea sous les
flancs du navire, elle chavira et fut entièrement disl oquée.
Comme je voulais encore sauver sa carène, le
matelot Evenot sauta légèrement sur sa quille et se
mit sur-le-champ à l’étalinguer ; une vague le renversa
dans l’eau tandis qu’il était occupé à ce travail, et il
fallut tout laisser de côté pour le sauver, ce qu’on
réussit à faire au moment même où l’on signalait un
requin sur l’avant de la corvette. Pendant ce temps la
baleinière s’était considérablement écartée de nous.
Comme il ventait une brise très-fraîche, nous avions,
nous-mêmes beaucoup dérivé sous le vent. Considérant
donc que pour rattraper la pirogue brisée, il me
faudrait perdre un temps précieux et qu’après tout je
n’en pourrais sauver que des morceaux , je pris le
parti de l’abandonner aux flots, et je recommençai à
louvoyer pour atteindre la passe du S. E. *
A quatre heures nous avons commencé à pénétrer
sur la zone occupée par les coraux. Là nous trouvâmes
la mer plus courte et très-irrégulièrement agitée ;
et souvent nous pouvions voir les têtes de coraux s’élever
jusqu’à six ou sept brasses dans l’eau.
Il fallut courir des bordées durant deux heures environ,
et ce métier était d’autant plus épineux que cet
espace n’avait pas été sondé par Beechey, dont le plan
seul me servait de guide. Aussi je faisais veiller attentivement
les vigies, dont l’une d’elles était un officier,
et moi-même j’ouvrais les yeux avec le plus grand
soin, car je n’avais pas tardé à voir que mes deux
Français qui s’étaient donnés pour pilotes de ces