frait devant et derrière nous. A droite de l’autel, les deux commandants
de l’expédition occupaient le premier rang, derrière
eux lesdeux états-majors; en arrière de ceux-ci étaient rangées sur
deux lignes les femmes de la paroisse; à leur tête étaient assises
la reine et la tante du roi sur une banquette élevée. Ces deux
princesses se faisaient remarquer en outre par leur air grotesque
qui donnait envie de rire, malgré le respect dû à leur rang. Affublées
de robes larges et sans formes, elles s’étaient placé sur la tête
un vaste chapeau orné de grands rubans blancs et noirs, dont je
ne saurais rendre 1 effet burlesque. Qu’on se figure ce qu’on a vu
de plus comique en fait de chapeaux de marchandes de pommes
ou de vieilles folles, et placez-les sur la tète de deux sauvagesses,
vous serez encore bien loin de l’effet que ceux dont je vous parle
produisaient sur le chef de nos héroïnes. Je les trouvais si comiques,
que je n’osai pas les envisager, de peur d’être saisi d’un de
ces lires fous quon ne sait maîtriser et qui mènent souvent, où
1 on ne voudrait pas aller. Combien étaient intéressantes ces jeunes
filles naïves et recueillies auprès de ces singes de la civilisation
déjà si ennuyeuse par elle-même, et qui faisaient tache dans le
tableau que je ipe plaisais tant à considérer. A gauche de l’autel,
Mapouteoa faisait le pendant de nos commandants ; derrière lui
étaient ses quatre oncles que suivaient les trente guerriers, puis
les hommes de tout âge. Deux lignes de matelots sans armes séparaient
les hommes des femmes, et enfin les quarante matelots
armés faisaient le fond du tableau. J’avoue que je n’ai jamais été
témoin d une scène plus délicieuse que celle que j ’avais alors sous
les yeux, j ’étais ému et je le demande, qui ne l’eût été à ma
place. D’un côté, la civilisation avec tous ses vices cachés sous
des habits dorés, de l’autre, un peuple simpleet vertueux comme
les premiers chrétiens ; c’était un assemblage fait pour inspirer
bien des pensées a un philosophe, et faire faire des comparaisons
peu à notre avantage. Pendant l’office, le peuple chanta des
cantiques avec un ensemble réellement étonnant. L’on pourrait
même, sans les flatter, dire que ces chants n’étaient pas sans mélodie.
En voici un des deux que nous sommes parvenus à nous
procurer :
Alleluia, alleluia, alleluia, alleluia.
Koua, koua kia tatou na
Ko feto kirito kou ora
Mai ti mote era rana
Alleluia, alleluia, alleluia, alleluia.
Tera mai ora oki
Mei eruta remi
Eti kata kao tene
Alleluia, alleluia, alleluia, alleluia.
Aka kite kitana meta
A man apotoro na
Kou era te ito reka
Alleluia, alleluia, alleluia, alleluia.
Etai kai nakai ora
To kou tou na
Kou era te ito aea
Alleluia, alleluia, alleluia, alleluia.
Maria e, marlae keama
Alo kia koe ou era.
Ta koe Tama
Alleluia, alleluia, alleluia, alleluia.
E noui te reka reka
I kite kouane akora
Maï te ouan na
Alleluia, alleluia, alleluia, alleluia
Après l’office, Monseigneur l’évêque, plein d’émotion, nous fit
une courte allocution, pour remercier les commandants, officiers
et matelots de l’assistance que nous avions prêtée par notre
présence aux efforts de la mission; puis il fit un petit discours
aux naturels, discours dont je n’ai pu me procurer la traduction,
mais que j ’espère avoir à bord de XAstrolabe. Cette
journée d’émotions si douces se termina en faisant manoeuvrer
devant Mapouteoa le petit détachement que nous avions débarqué.
(M . de Montravel.)
N o t e i o 3* p a g e 1 8 4 .
Le but de cette cérémonie était de satisfaire à la fois aux
croyances que chacun de nous pouvait avoir comme chrétiens, et
de montrer aux insulaires de Manga-Reva un échantillon de ce
que-nous pouvions faire, soit pour nous défendre, soit pour attaquer.
Cette promenade militaire pouvait servir aussi à relever
un peu la France dans l’opinion des habitants de ces îles, et a
mieux assurer encore l’autorité et l’influence de nos mission