les cuirs, les blés et les vins qui seraient fort bons si
leur fabrication était mieux soignée.
Ce peuple est indolent, paresseux, étranger aux
spéculations de l’industrie comme aux recherches
scientifiques. Dans les classes aisées, les hommes passent
leur temps au café, aux courses de chevaux ou
chez les filles. Les femmes ne s’occupent que de musique
, de danse ou de promenades publiques. Chez
tous, la passion pour les cartes et les combats de
coqs est universelle, et l’on ne voit guères de maison
à la porte de laquelle on n’ait enchaîné quelques-uns
de ces animaux , tout prêts pour la bataille.
Tous les actes de l’état civil sont encore entre les
mains des curés, et l’ignorance est si générale chez
le peuple, que peu d’individus savent au juste quel
âge ils ont.
Nous revînmes nous mettre à table à cinq heures
chez M. Bardel, où les dames avaient eu soin de
nous préparer un excellent dîner. Nous eûmes pour
convives MM. Vermoulin et Lauzier. Ce dernier se
trouve être presque mon compatriote. Né près de
Touques, dans le Calvados, il était âgé de cinquante-
trois ans et avait fait, ses études au collège central de
Caen. Il avait suivi les cours de MM. Thénard et Gay-
Lussac et avait travaillé dans le Cadastre. A la chu te
de l’empereur, il alla tenter la fortune dans les états
naissants de l’Amérique méridionale. Il fut d’abord
employé comme professeur dans un collège, puis en
qualité d’ingénieur pour la république du Chili. Loin
de lui payer la récompense de ses services, le gouvernement
lui fit même banqueroute. Alors dégoûté des
hommes, le pauvre Lauzier a pris le parti de se retirer
parmi les Araucanos et de vivre presque à leur manière.
Il a pris une de leurs filles avec laquelle il vit
conjugalement, et il se loue fort des procèdes de ses
nouveaux compatriotes. Cependant, comme cela arrive
habituellement en pareil cas, il m’a semblé voir
que ces éloges étaient plutôt inspirés par la juste indignation
qu’il se croyait fondé à nourrir contre les
sociétés civilisées, que par les vertus même des
hordes sauvages.
Ancien disciple de l’abbé Fana, Lauzier a conservé
une foi entière dans le magnétisme et même dans ses
effets les plus merveilleux, dont il me cita des exemples.
M. Vermoulin écouta tout cela sans sourciller,
sans faire un seül geste de blâme ou d’approbation ;
et pour ma part, je n’aurais pas voulu tenter d’enlever
à ce pauvre sauvage volontaire, aucune de ses
dernières illusions.
Vers onze heures, chacun se retira pour aller se
reposer. Comme je couchais dans le même appartement
que M. Bardel, je fus d’abord étonné de le voir,
avant de se mettre au lit, prendre une chandelle et la
déposer toute allumée dans la cheminée. Ayant demandé
à quoi bon cette précaution, il me répondit
que c’était pour nous donner le moyen de retrouver
facilement les issues en cas de tremblement de terre.
La plupart de ceux qui ont été enterrés sous les ruines
de leurs maisons, ne le doivent qu’à leur oubli de
cette précaution. Réveillés en sursaut et privés de