qu ils se montrèrent eux premiers navigateurs. Ce nouveau costume
les rapetissait et les rendait lourds. Du reste, ils furent
très-doux, fort tranquilles, ne touchant à rien, ne demandant
rien, et attendant qu on leur donnât. Chaque fois qu’on leur
faisait un cadeau , ils témoignaient vivement leur joie et leur reconnaissance.
Ils furent très—complaisants pour répondre aux
questions de ceux d entre nous qui leur demandaient des noms ,
et subirent avec une grande patience l’examen que le docteur fit
de leur tête, et les mesures qu’il en prit.
Ayant voulu leur parler de danse et de chant, ils firent la
giimace, donnant à entendre que cela était mauvais et qu’ils y
avaient renoncé. Dans la soirée et la nuit suivante, nous fîmes-
peu de chemin, contrariés par le calme et de légères brises variables.
Les naturels désirant rester à bord et nous accompagner
j usqu à ce que nous eussions gagné le mouillage, je leur accordai
volontiers cette permission.
(M . Jacquinol.y
N o t e 6 1 , p a g e i 3o .
A dix heures du matin , une baleinière portant un petit monsieur
tout blême envoyé par l’évéque, deux marrons français et
montée par six naturels, a accosté le bord. Le petit monsieur
nous a dit être M. Latour de Fleury. Ce brave homme a quitté
la France et tout ce qrii pouvait l’attacher à la vie pour venir
apprendre à lire aux sauvages de Gambier. 11 n’était nullement
attaché à la mission. C’était un dévouement tout comme un autre.
Pour moi, j’aurais préféré aller me faire martre d’école dans quel -
que canton bien reculé de la Bretagne. Les deux Français qui
l'accompagnaient, Marion et Guillou, péchaient des perles à
Gambier. Ce sont deux vieux matelots; ils nous ont dit provenir
de bâtiments naufragés ; depuis trois ou quatre ans, ils courent
les îles de 1 Océanie. Enfin, las de leur vie errante, ils sont venus:
se fixer à Gambier, dans le giron de la sainte Eglise. Là, tous deux
ont pris femme , sont bien et duement mariés, par devant Monseigneur,
à deux sauvagesses, et raccrochent par-ci par-la quel— ■
ques perles. La pirogue est armée par six naturels. Ce sont de
vigoureux lurons. Tous sont vêtus, portant au cou une petite
croix et un médaillon , et paraissent de fervents chrétiens. Leur
conduite est exemplaire : ils ne touchent à rien , se tiennent tranquilles
, admirent tout ce qui les entoure, et viennent de temps
en temps nous donner des poignées de main en baragouinant le
mot chrétien. Nous leur avons donné du biscuit ; ils n en ont pas
porté un morceau à leur bouche sans faire le signe de la croix. Ce
sont de beaux hommes, mais je n’ai pas remarqué de type uniforme.
Cependant, tous avaient le nez légèrement épaté et les
narines larges , la peau couleur de suie, les yeux noirs peu couverts
et fendus en amande. D’après ce que nous dit M. Latour ,
les missionnaires ont complètement réussi. Presque toute la population
de l’île est chrétienne. Ces braves gens ont toute la ferveur
des jeunes néophytes. Beechey, qui visita leur groupe il y
a dix ans, les peint comme de déterminés voleurs ; il fut obligé
de les canonner sérieusement, un de ses officiers ayant été attaqué
à terre. Les premiers missionnaires qui vinrent s’établir
eurent fort à souffrir des naturels. Un beau jour, et sans que rien
parût l’annoncer, ils fuient traqués comme des bêtes fauves et
obligés de demeurer dans leurs montagnes ; on.mit le feu aux roseaux
pour les faire déguerpir. Heureusement, le vent souffla à
contre et chassa le feu dans la direction opposée. Les pauvres
diables passèrent une triste nuit. C’est une dure perspective , il
est v ra i, quelque saint homme que l’on soit, de servir de régal
à une troupe de sauvages. La faim les chassa de leur retraite, et,
à leur grand étonnement, ils furent assez bien reçus. Bientôt tout
fut oublié, et ils recommencèrent à travailler de plus bellé a la
vigne du Seigneur. En i 836, M. Rochouse, évêque de Nilopolis ,
fut envové par la cour de Rome , avec le titre de vicaire aposto