l’hospitalité; qu’au contraire, s’ils recevaient bien nos compatriotes,
s’ils leur donnaient des vivres et des chevaux pour les con -
duire à la frontière, nous les récompenserions comme l’avait fait
déjà M. Rouse, dans les naufrages de la Rose et de la Challenger.
Aussitôt que j ’eus fini, ils désignèrent un d’entre eux pour me
répondre, c’était encore Trangoil-lanca qui prenait la parole. 11
commença par nous indiquer les caciques dans la juridiction desquels
avaient fait naufrage le brig la Rose et le trois mâts la Confiance.
11 leur reprocha lui-même leur conduite ; mais ceux-ci se
disculpèrent ; ils dirent que c’étaient.des mosetones ( des soldats)
qui avaient commis ces désordres. Que quant à eux , loin d’avoir
fait le moindre mal aux naufragés, ils leur avaient procuré des
chevaux. Le cacique Catrilevi de Moncuill dit que même un capitaine
lui avait promis une récompense et lui avait manqué de
parole, que cette action leur avait donné mauvaise opinion des
chrétiens de Perguilauques (de l’autre côté de la mer) ; mais qu’à
présent qu’ils voyaient qu’ils avaient affaire à des senorias
Martin Campo, ils feraient ce que nous demandions.— M. Rouse
prit cependant la liberté de rappeler au sieur Catrilevi que le capitaine
Maréchal, de la Rose, lui avait donné sa montre et que
cette récompense aurait dû lui paraître suffisante. Le dignitaire
ne répondit pas, il paraît qu’il avait oublié ce petit incident ou
qu’il espérait que nous n’en avions pas connaissance. — Ensuite
Trangoil-lanca nous fit un long discours qui se réduisait à nous
dire que nous pouvions compter sur ce qui était promis ; que lui
et les autres caciques allaient travailler pour que nos navires
fussent bien reçus sur toute la côte.
Les choses ainsi convenues, nous passâmes au solide de l’affaire,
c’est-à-dire aux présents. Lorsque les Indiens traitent avec des
chrétiens, ils ne considèrent rien d’arrêté tant qu’on ne leur a pas
ait quelques cadeaux. C’est pour eux une preuve tqu’on ne veut
pas les tromper, ce sont des espèces d’arrhes qu’ils exigent pour
assurer le marché. Nous avions eu déjà une preuve de ce système
à notre arrivée. Les caciques étaient depuis quinze jours réunis
à Arauco où les avait cités l’intendant qui ne paraissait pas. Ils
étaient fatigués de ce retard, bien qu’on les traitât le mieux possible
; ils parlaient de se retirer disant qu’on voulait les tromper ;
mais ils virent arriver les chevaux qui apportaient les présents
qu’on leur destinait et cela suffit pour les arrêter ; ils déclarèrent
même au commandant de la place qu’ils commençaient à croire
qu’on voulait traiter avec eux de bonne foi.
Nous leur donnâmes donc ce que nous avions apporté pour
eux, c’est-à-dire des cornets d’indigo (ils attachent un grand
prix à cette teinture), des mouchoirs rouges de coton, des miroirs
de carton, des grelots, des médailles, des rubans, des colliers, des
verroteries, des guimbardes, du tabac, etc. Il fallut distribuer
très-également à chacun ce qui lui revenait, car ils n’ont pas
grande confiance dans leur probité respective. La cérémonie se
termina par une grêle d’accolades qu’ils nous demandèrent la
permission de nous donner. Puis, ils retournèrent à leur logement
où les attendaient les libations habituelles. Trois heures
après ils étaient dans l’extase de la plus parfaite ivresse. Dans la
soirée nous allâmes leur faire une visite ; l’intendant et M. Rouse
se tinrent à l’écart, mais je me mis au milieu et n’eus pas à me
repentir de cet acte de popularité. Çà et là étaient formés de petits
groupes où les plus raisonnables s’occupaient à romancear,
c’est-à-dire à raconter, je pourrais dire a chanter aux autres leurs
aventures. Les femmes entouraient les feux, plusieurs avaient
sur leurs genoux une espèce de poupée bien roide; c’était un enfant
emmailloté1, ou pour mieux dire, ficele de maniéré a ne
pouvoir remuer ni pieds ni mains ; toutes s occupaient a faiie des
1 Les enfants nouveaux-nés sont enveloppeés d’un tissu de laine très-
grossier et étendus sur une planche où on les attache fortement depuis les
pieds jusqu’au cou. Outre que les Indiens pensent que cela convient à leur
santé, ils y trouvent l’avantage de les transporter à cheval, devant eux, dans
leurs voyages.