nus pour nous emparer de sa personne, et que cette chaîne en
cuivre était destinée à l’amarrer. Cette idée l’avait tellement occupé
qu’il n’avait cessé de faire des questions sur ce sujet à tous
les matelots qui flânaient par-là. Je présume dès-lors qu’il dut
voir partir avec beaucoup de joie l’objet de sa terreur.
A peine eus-je quitté la baie que j ’aperçus Dumoulin qui gravissait
la montagne de l’île Taravaï en compagnie du missionnaire
et de toute la population. Personne n’avait voulu le quitter. Pendant
que nous vaquions à nos travaux, Manga-Reva voyait une
scène magnifique et unique dans les fastes de la nation. Le commandant
était allé rendre visite à Mapouteoa, qui l’attendait avec
une grande impatience, et lui avait donné les cadeaux qui lui
étaient destinés. Plusieurs de mes camarades , qui avaient assisté
à cette scène, m’ont assuré qu’elle leur avait causé beaucoup de
plaisir. Il paraît que les étoffes avaient fait pousser des exclamations
nombreuses, et qu’ensuite un fusil à deux coups les avaient
rendus muets d’étonnement. Le bon roi fut très-satisfait. Il paraît
tenir aux étoffes beaucoup plus qu’à tout le reste ; car le soir même
de ce jour, on vit traîner, à travers les bananes et les cocos qui
encombraient sa case, les quelques paquets de poudre qui avaient
accompagné ledon du fusil, et ce fusil lui-même, qui, peu avant,
avait causé tant d’admiialion. Il ne connaissait point encore la
la valeur de ces objets. P u is s e - t - il l’ignorer encore longtemps
!...
A quatre heures du soir, je retournai à Taravaï prendre nos
compagnons. A peine arrivé, je les apêrçus se promenant au milieu
des cocotiers, avec une suite plus nombreuse que celle d’un
roi de nos pays. Comme la nuit allait arriver, et que nous avions
vent debout pour atteindre le bord, il nous fallait prendre congé
de nos amis, et, chose singulière ! on aurait cru vraiment que
c’étaient leurs proches parents qui partaient pour une expédition
difficile. Tous étaient là sur la plage ; les uns nous offraient des
cocos, les autres voulaient nous transporter au canot. Enfin
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l'embarcation poussa, alors tous les chapeaux s’élevèrent en l’air,
trois adieux prolongés retentirent dans la vallée, et le drapeau
manga-revien , hissé sur une hauteur , fut amené par trois fois.
Nous ne pûmes tenir à cet adieu. Nos chapeaux et nos voix leur
répondirent aussi. Alors de nouvelles acclamations partirent de
la plage, qui ne fut enfin abandonnée que lorsque le tout fut
entièrement hors de vue. De ma vie je n’oublierai cet accueil . S’il
est dû aux missionnaires, rendons-leur de grandes actions de
grâce ; mais j’aime a penser quil est du autant au bon natuiel
des habitants qu’aux soins des pasteurs. Nous trouvâmes beaucoup
de cordialité et de complaisance chez M. Armand, missionnaire
à Taravaï. Très-jeune encore , il savait se mettre parfaitement
à l'unisson de ceux qui le visitaient. Très-reconnaissants
du bon accueil qu’il nous avait fait, nous l’invitâmes à venir
passer une journée entière à bord, ce q u il nous promit et de
grand coeur, car il avait autant envie d’y venir que nous de
Fv posséder.
(M . Duioch.)
Note 7 3 , page i 4 3 .
Deux personnes y restaient cependant ; l’un d’eux était vêtu a
l’européenne, et l’autre portail un grand manteau en étoffe du
pays, avec lequel il se drapait avec une extrême aisance. Le premier
des deux était Gregory Mapouteoa , roi de toutes ces îles ,
et l’autre était son oncle, ex-grand-prètre des idoles , et aujourd’hui
un des fervents catholiques de l'endroit.
Le roi paraissait- contrarié, car il attendait depuis le matin le
commandant des deux bâtiments français, et sa physionomie
annonçait un désappointement qu’il ne pouvait dissimuler.C était
un grand bel homme, assez bien proportionné, mais d’une figure
un peu niaise. Gêné dans sa démarche, peut-être à cause de son
costume européen, ce prince insulaire ne brillait pas auprès de
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