Effets fin-
guliers de la
rareté de
l ’air fur les
forces m u t
culaires.
Elles s’é-
puifent très-
prompte*
ment.
befoin ; les premières neiges que nous rencontrâmes avoient
la bonne confiftance, dont j’ai parlé d’abord ; & vers le milieu
du jour la chaleur du Soleil les avoit tellement ramollies,,
que nous enfonçions jufques au genou ; ce qui rendit très-
pénibles les derniers efforts que nous eûmes à faire pour arriver
à la cime.
§. y 5 9. L a rapidité de la pente des hautes fommités, &
la trop grande molleffe ou la trop grande dureté de leur fur-
face ne font pas les feules caufes de la fatigue que l’on éprouve
en les graviiïànt ; la rareté de l’a i r , dès que l ’on paffe la hauteur
de 13 à 14 cents toifes au deffus de la M e r , produit
fur nos corps des effets très-remarquables.
L ’un de ces e ffe ts, e’eft que les forces mufculaires s’épui-
fent avec une extrême promptitude. On pourroit attribuer
cet epuifement â la feule fatigue ; & ça été l’opinion de Mr.
B o u s u e r , qut s’etoit aufli apperçu de ce phénomène en gra-
viffant les montagnes des Cordelieres. Mais ce qui diftingue
& caradérife le genre de fatigue que l ’on éprouve à ces grandes
Sauteurs, c ’eft un epuifement to ta l, une impuiilance abfolue
de continuer fa marche, jufques à ce que le repos ait réparé
les forces. Un homme fatigué dans la plaine o u fur des. montagnes
peu é levées, l’eft rarement, affez pour ne pouvoir ab-
folument plus aller en avant ; au lieu que fur une haute montagne
, on l ’eft quelquefois à un tel p o in t, q u e , fût-ce pour
éviter le danger le plus éminent, on ne feroit pas à la lettre
quatre pas de p lu s , & peut-être même pas un feul. Car £
l ’on perfifte à faire des efforts, on eft faifi par des palpitations.
& par des battemens fi rapides & fi forts dans toutes les arteres,
que l’on tomberoit en défaillance fi on l ’augmentoit encore
en continuant de monter.
C e p e n d a n t , & ceci forme le fécond caraétere de ce fin-
gulier genre de fatigu e , les forces fe réparent aufli promptement
, & en apparence aufli complettement qu’elles ont ete
épuifées. La feule ceflation de mouvement, même fans que
l ’on s’affeye , & dans le court efpace de trois ou quatre minutes
, femble reftaurer fi parfaitement les fo r c e s , qu’en fe remettant
en marche, on eft perfuadé qu’on montera tout d’une
haleine jufques à la cime de la montagne. O r dans la plaine ,
une fatigue aufli grande que celle dont nous venons de parler
ne fe diflipe point avec tant de facilité.
U n 'autre effet de cet air fubtil, c’ eft l’affoupiffement qu’il
produit. Dès qu’on s’eft repofé pendant quelques inftans à ces
grandes hauteurs, on fent comme je l’ai d it , fes forces entièrement
réparées; l’impreflion des fatigues précédentes femble
même totalement effacée ; & cependant on voit en peu
d’inftans, tous ceux qui ne font pas occupés s’ endormir, malg
ré le v e n t , le f r o id , le S o le il, & fouvent dans des attitudes
très-incommodes. La fatigue fans d o u te , même dans les plaines
, provoque le fommeil ; mais non pas avec tant de promptitude,
fur-tout lorfqu’elle femble abfolument diflipée, comme
elle paroît l’être fur les montagnes , dès que l’on a pris quelques
momens de repos.
C es effets de la fubtilité de l’air m’ont paru très-univerfels ;
quelques perfonnes y font moins fujettes, les habitans des Alpes
par exemple, habitués à vivre & à agir dans cet air fu b til,
en paroiffent moins affedés ; mais ils n’ échappent point entié-
P p p 3
Mais elles
fe réparent
avec la même
promptitude.
o
Affoupiffe-
m eat, fécond
effet
de la rareté
de fair.