d’une cabane ; & là après quelques queffions fur lès motifs
de mon voyage, j’ai été reçu avec, une honnêteté, une cordialité
, & un défintéreifement dont on auroit peine à trouver
ailleurs des exemples. Et croiroit-on que dans ces fauvages
retraites, j’ai trouvé des penfeurs, des Hommes , qui par la
feule force de leur raifon naturelle, fe font élevés fort audeifus
des fuperffitions 1 dont s’abreuve avec tant d’avidité le petit
peuple des villes ?
T e l s font les plaifirs que goûtent dans les montagnes ceux
qui fe livrent à leur étude.. Four moi j’ai eu pour elles, dès
1 enfance , 1a paillon la plus décidée ;: je me rappelle encore le
Jàifiifement que j éprouvai la première fois que mes mains touchèrent
le rocher de Salevè, & que mes yeux jouirent de
fes points de vue. A l’âge de i§ ans ( en i y f 8 ) , j’avois déjà:
parcouru plufieurs fois les montagnes les plus voifines de
Geneve. L ’année fuivante j’allai palfer quinze jours dans un des;
chalets les plus élevés du Jura, pour vifiter avec foin la Dole
& les montagnes des environs; & la même année, je montai
fur le Mole pour la première fois. Mais ces montagnes peu
élevées ne fatisfaifoient qufimparfaitement ma curiolité; je
brulois du defir de voir de près les hautes Alpes, qui du fommet
de ces montagnes, paroiflèntfimajeftueufes; enfin en 1760,
j allai feu! & .a pied, vifiter les Glaciers de Chamouni , peu fréquentés
alors, & dont l’accès palfoit même pour difficile &
dangereux. J’y retournai l’année fuivante, & dès lors je n’àii
m laiffè paffer une feule année fans faire de grandes courfes,
| même des voyages pour l’étude des montagnes. Dans
cet efpace de tems, j’aitraverfé quatorze fois la chaîne entiere
des Alpes par huit paflages différens; j’ai fait feize autres ex-
curfions jufques au centre de cette chaîne; j’ai parcouru le
Jura, les V o fge s , les montagnes de la Suifle , d’une partie
de l’Allemagne, celles de l’Angleterre, de l’Italie, de la Sicile
& des Isles adjacentes ; j’ai vifité les anciens Volcans de l’Auvergne,
une partie de ceux du Vivarais, & plufieurs montagnes
du F o re z , du Dauphiné & de la Bourgogne. J ’ai fait
tous ces voyages, le marteau du mineur à la main, fans
aucun autre but que celui d’étudier l’Hiftoire Naturelle , gra-
viffant fur toutes les fommités acceffibles qui me promettaient
•quelqu’obfervation intérelfante, & emportant toujours des
échantillons des mines & des montagnes, de celles furtout
qui m’avoient préfenté quelque fait important pour laT h e o n e ,
afin de les revoir & de les étudier à loifir. Je me fuis meme
impofé la loi févere de prendre toujours fur les lieux, les
notes de mes obfervations, & de mettre ces notes au net dans
les vingt-quatre heures, autant que cela était poffible.
U n e précaution que j’ai employée & q u i, à ce que je- crois,
m’a été d’une très- grande utilité , c’eft de préparer a l’avance
pour chaque vo y a g e , un agenda fyftêmatique & détaille des
recherches auxquelles ce voyage étoit deftiné. Comme le
Géologue obferve & étudie, pour l’ordinaire en voyageant,