Torrens
momentanés.
l’autre. Si l’on p o u v o it, par une d igu e , la contenir dans un
lit permanent, on y gagnerait prefqu’une lieue quarrée de
terrain , qui feroit bientôt en va leu r, parce que le limon de
cette riviere eft très-fin & très-fertile.
L o r s q u e l’Arve eft baife , cet efpace fablonneux & a r id e
préfente un afpect trifte & ingrat ; mais quand il eft inondé,
la vallée reffemble à un Lac , & la ville de Sallenche qui d’ici
paroît au bord de ce L a c , fes clochers brillans & élevés, &
les collines boifées qui la dominent, couronnées par les cimes
fourcilleufes de la haute chaîne du Repofoir , forment un tableau
de la plus grande beauté.
A u mois d’A oût 1 7 7 5 , après des pluies abondantes, PArve
s’étoit tellement débordée, qu’à une demi-lieue de Sallenche
elle avoit emporté le ch em in , & l’on étoit forcé de pafler
fur la pente rapide d'une prairie dont le fond a rg illeu x , hu-
mefté par les p lu ie s , étoit extrêmement glilfant. Je faillis à
y périr ; j’avois mis pied à terre & je menois mon Cheval par
la b r id e , quand il fe mit à gliffer fur moi des quatre pieds à
la fo is , en me pouffant dans un préeipice fous lequel paffoit
la riviere : beureufement j’eus encore le tems de m’élancer en
avant, de franchir ce mauvais pas & d’en tirer mon Cheval
§. 4 8 T -U n danger plus extraordinaire que l’on court quelquefois
fur cette ro u te , eft celui d’être furpris par des torrens qui fe
forment fubitement, & defcendent avec une violence incroyable
du aut des montagnes qui font fur la gauche de la grande route.
C e s montagnes prefque toutes d’A rd o ifes , & en plufieurs
endroits d’Ardoifes décompofées, renferment des efpeces de
baffins
baffins fort étendus, dans lefquels les orages accumulent quelquefois
une quantité immenfe d’eau. Ces eaux, lorfqu’elles parviennent
à une certaine hauteur, rompent tout à coup quelqu’une
des parois peu folides de leurs réfervoirs, & defcendent
alors avec une impétuofité terrible. Ce n’eft pas de
l’eau p u re , mais une efpece de boue liquide, mêlée d’Ardoife
décompofée & de fragmens de rochers ; la force impulfive de
cette bouillie denfe & vifqueufe eft incompréhenfible ; elle
entraîne des ro ch e r s , renverfe les édifices qui fe trouvent fur
fon paffage, déracine les plus grands arbres, 8c défoie les
campagnes en creufant de profondes ravines, & en couvrant
les terres d’une épaiffeur confidérable de limon, de gravier &
de fragmens de rocher. Lorfque les gens du pays voyent
venir ce to r r en t , qu’ils nomment le Nant Sauvage, ils pouffent
de grands cris pour avertir ceux qui font au deffous, de
fuir loin de fon paffage. On comprend que dès que le ré-
fervoir eft vuidé , le torrent c e ffe , ou du moins diminue con-
fidérablement : il dure rarement plus d’une heure.
C e t accident eft très-rare, je ne l ’ai vu qu’une feule fo is ,
le 7e. Août 1 7 5 7 , & quoiqu’au moment où je le rencontrai, il
fut déjà fur fon d é c lin , j’en vis affez pour m en former une
idée. On ne peut pas imaginer un fpeétacle plus hideux; ces
Ârdoifes décompofées formoient une boue epaiffe , dont les
vagues noires rendoient un fon fourd & lugubre ; & malgré
la lenteur avec laquelle elles fembloient fe m ou vo ir, on les
voyoit rouler des troncs d’arbres & des blocs de rocher ,
d’un volume & d’un poids confidérables.
J e fus cependant très-fatisfait d’avoir été témoin de cette
eipece de débâcle : elle m’a aidé à comprendre comment la
F f f