D é f ile
¿¡croit & (au*
vage.
fleurs purpurines qui exhalent une odeur auffi douce que leur
couleur eft fine: l’Auricule des Alpes, qui a gagné dans nos
jardins des couleurs plus riches, mais qui n’y a plus la fuavité
du parfum qu’elle répand fur ces rochers : l’AJlrantia alpina,
la Saxifraga cotylédon, &c-
§. f 09. C e ne font pas les plantes feu le s , qui donnent à
cette route un caraétere alpeftre. Les rochers primitifs fur
lefquels elle paife; l ’Arve ferrée dans un paflage étroit & profo
n d , fon écume que l’on voit blanchir au travers des cimes
des Sapins qui font fort au deifous des pieds du Voyageur;
& de l’autre côté , un rocher n o ir , taillé prefqu’à p i c , teint
qà & là de couleurs métalliques, & portant de place en place,
comme fur des étageres, de grands Sapins, dont le verd obfcur
contrafte avec la blancheur des Bouleaux : tels font les objets
qui caraétérifent l ’avenue vraiment alpine de la vallée de Chamouni.
C ette route en corniche au deflus de l’Arve, étoit autrefois
un fentier étroit où il eût été imprudent de relier à cheval :
mais depuis quelques années on a fait fauter des rochers, &
on l’a élargie au point qu’elle eft acceffible à de petites charrettes.
On y pafle fans aucun danger, & l’on peut cependant
d’après cette route, fe former une idée des palfages périlleux
des hautes montagnes.
C ette vallée étroite par laquelle on pénétré dans celle de
Chamouni, eft dirigée de même que la grande vallée de la
Bonne-Ville, droit au Sud de l’aiguille aimantée, c’eft-k-dire,
à-peu-près au Sud-Sud-Eft,
§. f 10. En fortant de ce défilé étroit & fauvage, 011 tourne
à gauche & l ’on entre dans la vallée de Chamouni, dont l’a t
pect êft au contraire-, infiniment doux & riant. Le fond de
la vallée en forme de berceau eft couvert de prairies, au milieu
defquelles paffe le chemin bordé de petites paliffades. On
découvre fuccefiivement les différens glaciers qui defcendent
dans cette vallée. On ne voit d’abord que celui de T acon a y,
qui eft prefque fufpendu fur la pente rapide d’une petite ravine
dont il occupe le fond. Mais bientôt les yeux fe fixent
fur celui dès Buiffons, qu’on voit defcendre du haut des fom-
mités voifines du Mont-Blanc : fes glaces d’une blancheur eblouif-
fante, dreffées en forme de hautes pyramides, font un effet
étonnant au milieu des forêts de Sapins qu’elles traverfent &
qu’elles furpaffent. On voit enfin de loin le grand glacier
des B o is , qui en defcendant fe recourbe contre la vallée de
Chamouni ; on diftingue fes murs de glace- qui dominent des
rocs jaunes, taillés à pic.
C e s glaciers majeftueux, féparés par de grandes fo rê ts, couronnés
par des rocs de Granit d’une hauteur étonnante, qui
font taillés en forme: de grands obélïfques, & entremêlés de
neiges & de glaces , préfentent un des plus grands & des
plus finguliers fpeétacles qu’il foit pofftble d’imaginer. L ’air
pur & frais qu’on te fp ire , fi différent de l’air étouffe des
vallées de Sallenche & de S e rv oz , la belle culture de la vallée,
les jolis hameaux que l’on rencontre à chaque p a s , donnent
par un beau jour l’idée d’un monde nouveau, d’üne tfpeee de
Paradis terreftre, renfermé par une Divinité bienfaifante dans
l’enceinte de ces montagnes. La route- par-tout belle & fa c ile ,
permet de fe livrer à la délicieufe rêverie & aux idées douces»
variées & nouvelles qui fe préfentent en foule à l ’efprit.
Vallée de
Chamouni.
Grand fpec-
tacle qu’elle
préfente.